Elles s’appellent Joëlle Combremont et Patricia Leoz. Trente ans d’amitié, une passion commune pour la danse, l’éducation, les médecines complémentaires et, depuis peu, un même engagement sur la scène publique contre la hausse vertigineuse des primes d’assurance maladie. Samedi 18 novembre, les deux mères de famille de 51 et 49 ans ont mobilisé quelque 500 personnes dans les rues de Genève, où la hausse desdites primes atteint 5,4% en moyenne cette année, pour dénoncer un «système injuste et dysfonctionnel».

Installées dans le tea-room portugais des Grottes où elles ont leurs habitudes, Joëlle et Patricia sortent à peine d’une semaine mouvementée. En quelques jours, les voilà devenues porte-parole des assurés lambda, de ces citoyens qui, à la fin du mois, trient les factures en fonction des priorités, voire renoncent à aller chez un médecin. Et encore plus à souscrire une complémentaire.

Prise à la gorge

Céramiste de profession, Joëlle a connu des hauts et des bas. Une carrière dans les institutions pédagogiques puis une séparation. Avec un seul salaire, cette mère de deux enfants se retrouve rapidement prise à la gorge. «Défaut de biens, hospice général, tout s’est enchaîné très vite», raconte-t-elle posément. A son compte depuis huit ans, Joëlle a désormais retrouvé une stabilité, mais l’assurance maladie occupe toujours environ 15% de son budget. Soit «beaucoup trop». Tony, le patron du café acquiesce, très remonté lui aussi contre ce «vol organisé» qui précipite des familles dans la spirale de l’endettement.

De retour en Suisse en 2015 après un long séjour au Mexique, Patricia, massothérapeute, est sans revenus. «Une semaine après m’être inscrite au contrôle des habitants, je recevais déjà une lettre pour contracter une assurance. Le système s’est emballé, je n’avais pas les moyens de payer. J’ai dû tout reprendre à zéro, me reconstituer une clientèle.» Aujourd’hui, après des boulots d’étudiants, Patricia cumule deux emplois, en plus de ses massages, pour pouvoir vivre. Cette année, sa prime d’assurance maladie correspond à 20% de son revenu. «Contrairement à Joëlle, je n’ai tenu que deux ans avant de me révolter», plaisante-t-elle.

Rébellion collective

Comment en sont-elles venues à empoigner ce sujet sur lequel les autorités se cassent les dents depuis des années? Joëlle et Patricia évoquent, pêle-mêle, un sentiment d’impuissance, la frustration de voir se répéter le même discours politique désabusé chaque automne ou encore le besoin de faire entendre la voix de citoyens non partisans.

Toutes deux se revendiquent en effet apolitiques. Pourtant, différents partis, de gauche comme de droite, étaient présents samedi dernier lors de la manifestation organisée via les réseaux sociaux et le bouche-à-oreille. Le conseiller d’Etat Luc Barthassat et le maire Rémy Pagani ont même terminé le défilé enfarinés. A la veille d’une année électorale, échapper à la récupération politique sur un sujet aussi populaire relève de la mission impossible. Patricia tient à rectifier. «C’est nous qui avons contacté les partis et les associations au début de notre action il y a trois mois, explique-t-elle. Nous avons besoin de leur soutien, de leur expérience pour trouver ensemble une solution.»

Certes les soins sont de haute qualité en Suisse, mais à quoi bon avoir une Ferrari si on n’a pas les moyens de la conduire?

Joëlle Combremont

A la fin de l’été, les deux amies constituent le groupe «Lutte contre l’augmentation des primes d’assurance maladie» sur Facebook. Très vite, le nombre d’abonnés grimpe pour dépasser aujourd’hui 10 000 membres. Plusieurs scénarios sont alors examinés, du gel de la hausse au provisionnement des primes. Une «rébellion collective» jugée trop dangereuse. A défaut d’engager ce bras de fer financier, elles optent pour la rue. Malgré une affluence moins importante que prévue, le message passe. Dans l’intervalle, Joëlle et Patricia multiplient les rencontres avec les partis politiques dans un groupe de travail.

Prochaine étape: Berne

La prochaine étape? Une table ronde sur les «rouages de la santé» et une manifestation à Berne avant le début de l’été, «si possible un jour symbolique, où il y a du monde au parlement». «Le fonctionnement de l’assurance de base reste très opaque, estime Joelle. Nous voulons convier des acteurs de la filière santé afin que la population puisse obtenir des réponses.»

La concurrence des assureurs, les calculs d’apothicaires pour réduire sa franchise, la hausse perpétuelle et inexpliquée des primes: pour les deux mères de famille, tout est à revoir. Que proposent-elles en échange? «Nous n’avons pas de solution toute faite, reconnaît Joelle. Une caisse publique ou unique est envisageable. Pour le peu que la population l’accepte. En attendant, les autorités genevoises doivent prendre des mesures urgentes. La santé concerne la vie des gens.»

Les coûts élevés ne sont-ils pas à la hauteur d’un système de santé parmi les plus performants du monde? «Certes les soins sont de haute qualité en Suisse, mais à quoi bon avoir une Ferrari si on n’a pas les moyens de la conduire?» réplique Joëlle. Sont-elles affiliées chez le même assureur? «Non, mais les deux se valent!» lancent-elles en cœur.


Profil

Joëlle Combremont

1966: naissance à Lausanne.

2009: céramiste indépendante.

Patricia Leoz

1968: naissance à Genève.

2015: retour en Suisse après un séjour au Mexique.

2017: manifestation contre les primes d’assurance maladie.