L'initiative «Zéro pertes» ou la lutte tardive contre la RFFA
Genève
Les Genevois voteront le 27 septembre sur un texte de la gauche réclamant le renforcement de la progressivité de l’impôt. La droite fustige une initiative délétère en pleine crise économique

Rien ne fait douter la gauche de la pertinence de son initiative «Zéro pertes», soumise aux Genevois le 27 septembre prochain, pas même la crise sanitaire qui fait trembler l’économie. Au contraire: «L’argent manque dans les caisses publiques suite aux cadeaux fiscaux faits aux riches ces vingt dernières années, on s’achemine vers un déficit de près d’un milliard de francs qui va pousser l’Etat à sabrer dans les services publics, estime Jean Burgermeister, député d’Ensemble à gauche. Notre initiative est plus importante aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été.»
Lancée en 2017 par la gauche et les syndicats après le rejet populaire de RIE III, la précédente mouture de RFFA, l’initiative «Zéro pertes» visait à encadrer la future réforme de l’imposition des entreprises. Or la déclinaison cantonale a été acceptée en 2019 avec un taux unique d’imposition à 13,99%. Mais l’initiative n’a pas été retirée, ce qui fait dire au député PLR Yvan Zweifel qu’elle est «une initiative de mauvais perdants».
Que réclame ce texte? L’absence de pertes fiscales cantonales et communales, la préservation du financement du service public et des prestations, le renforcement de la progressivité de l’impôt. Elle somme aussi le canton de lutter contre la concurrence fiscale intercantonale. «Il faudra trouver des recettes fiscales supplémentaires, explique le conseiller national socialiste Christian Dandrès. Une des pistes est la réévaluation fiscale des immeubles, puisque Genève doit impérativement se mettre en conformité avec le droit fédéral.»
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«Les riches du canton ne paient pas ce qu’ils devraient»
Pour la gauche de la gauche, il s’agit d’aller plus loin: «Les riches du canton ne paient pas ce qu’ils devraient, privilégiés qu’ils sont par le bouclier fiscal ou encore l’imposition partielle sur les dividendes», avance Jean Burgermeister. Pourtant, à Genève, 5% seulement des contribuables financent près de 50% de l’impôt tandis que près de 40% de la population n’en financent que 4%. Et 36% des contribuables ne paient pas un franc d’impôt sur le revenu. Là où la droite y voit la preuve de la très forte contribution des riches, le député d’Ensemble à gauche, lui, y voit la démonstration de la fracture sociale: «Genève est le canton où les richesses sont le moins bien réparties. C’est aussi ici qu’elles augmentent le plus rapidement. Il faut donc ponctionner davantage les grosses fortunes.»
Un raisonnement absurde, pour le député PLR et directeur de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève (CCIG), Vincent Subilia: «Le barème d’imposition genevois est extrêmement progressif en comparaison intercantonale. Avec une moyenne de 16 000 francs par personne en additionnant les impôts sur les personnes physiques et morales, les recettes fiscales par habitant du canton sont deux fois plus élevées qu’à Berne. Or, ce sont les personnes et les entreprises à hauts revenus qui financent notre Etat social particulièrement généreux.» A droite, on craint que l’acceptation de cette initiative ne provoque l’exode des riches. Avec pour conséquence d’étrangler la classe moyenne, moins mobile et déjà mise à forte contribution.
Des emplois en moins
Et les entreprises? Le texte de l’initiative entretient un certain flou. Rédigé avant le vote sur la RFFA, il comptait mettre un clou dans le cercueil de cette réforme. Or, la RFFA a été acceptée à 58%, fixant un taux d’imposition uniforme. En conséquence de quoi les initiants se retrouvent un peu gênés aux entournures et plaident la marge d’interprétation: «L’initiative ne vise pas spécifiquement les personnes morales, explique Christian Dandrès. Elle réclame des mécanismes de compensation, davantage sur la fortune et les personnes à hauts revenus.»
De son côté, la droite rétorque qu’une aventure fiscale hasardeuse touchant les entreprises conduirait Genève à perdre toute attractivité, ce qui se traduirait immanquablement par des emplois en moins. Un risque d’autant plus réel avec la crise économique due à la pandémie. Ainsi résume Blaise Matthey, directeur général de la Fédération des entreprises romandes (FER): «Genève serait le seul canton suisse à introduire une progressivité de l’impôt sur le bénéfice des entreprises. Ce qui menacerait le maintien de certaines d’entre elles et des emplois.»
«Une fois de plus, Genève veut faire un truc dans son coin»
Enfin, l’initiative «Zéro pertes» demande à l’Etat de lutter contre la concurrence fiscale intercantonale. Or, on voit mal Genève mettre fin à lui seul à une situation à laquelle les autres ne renonceront pas. Ce que ne conteste pas Jean Burgermeister, qui ajoute: «L’Etat pourrait au moins entamer des discussions avec les autres cantons pour mettre fin à ce mécanisme concurrentiel délétère.»
C’est peut-être ce genre d’arguments qui aura poussé la conseillère d’Etat Nathalie Fontanet, chargée des Finances, à qualifier les arguments des initiants de «théories», lorsque, en octobre 2019, le Grand Conseil genevois refusait le texte. Pour le PLR Yvan Zweifel, ce texte va carrément à l’encontre du fédéralisme: «De plus, la situation fiscale à Lucerne ou Zurich est différente de celle de Genève, ce qui explique qu’on ne puisse demander un taux unique pour tous. Une fois de plus, Genève veut faire un truc dans son coin, mais moins bien que les autres.» Les Genevois diront si cette singularité leur sied.