Genève
Des milliers de bulletins de vote ont été laissés pendant trois jours dans la rue, devant le Service des votations et élections, à cause d’une erreur de la Poste. Le collaborateur en cause était employé d’un sous-traitant. La Chancellerie fédérale temporise, mais des recours sont à craindre

Voilà bien une cocasserie qui ne devrait pas figurer parmi les Genferei traditionnelles. Durant le week-end de Pentecôte, 22 caisses contenant 7000 bulletins de vote pour les votations du 13 juin sont restées du samedi matin au mardi matin, en bas de l’immeuble du Service des votations et élections (SVE), sans surveillance aucune. En cause: le facteur, ayant trouvé porte close et n’ayant pas réussi à joindre son superviseur, s’est résolu à laisser dans la rue ces caisses, ouvertes à tous les vents – et aux éventuels plaisantins.
L’employé ne travaillera plus pour la Poste
L’affaire, révélée lundi par la RTS, est très contrariante, puisqu’elle touche aux droits politiques et qu’on sait les Genevois assez prompts à faire recours. La Poste s’est répandue en excuses, car après une enquête interne, il s’est avéré que l’affaire est de sa responsabilité. Comment est-ce possible qu’aucun supérieur n’ait pu être atteint par le facteur? «C’est une erreur qui ne devait pas arriver, note Léa Wertheimer, porte-parole. Nous avons analysé en détail ce qui s’est passé, discuté avec les personnes concernées afin d’éviter que cela ne puisse se reproduire.» Ce ne sera en tout cas pas du fait de ce collaborateur. Employé par un sous-traitant qui effectue des transports pour le compte de la Poste, il n’exécutera plus de travaux pour celle-ci.
De son côté, le SVE est hors de cause: il avait en effet exclu toute livraison ce samedi-là, planifiant avec la Poste la première livraison huit jours plus tard, soit trois semaines avant le scrutin, comme il est coutume. Rien d’anormal non plus à ce que personne n’ait été présent au Service en dehors des dates de livraison prévues, «pour des raisons de bonne organisation du travail et de maîtrise des coûts», complète la Chancellerie genevoise. Vérifications faites par cette dernière, les enveloppes ont été retrouvées intactes, ce qui laisse penser qu’aucune manipulation n’a été faite. Une photo des caisses ayant été prise par le facteur, elle a pu être comparée à celle prise par des employés du Service à leur arrivée, mardi. La Chancellerie genevoise s’est alors adonnée au jeu des sept différences et n’en n’a pas constaté.
«Pas de tentative illégale de prise d’influence»
Mais qu’en pense Berne? Y a-t-il lieu de s’inquiéter pour la tenue du scrutin le 13 juin? Non, répond la Chancellerie fédérale, qui assure qu’il aura lieu comme prévu, même si elle admet qu’il s’agit d’une irrégularité au sens de l’article 79 de la Loi fédérale sur les droits politiques (LDP). Mais elle constate aussi que l’Etat de Genève et La Poste ont pris les premières mesures qui s’imposaient. Après un examen détaillé des faits et des mesures déjà prises, elle «va examiner si des mesures supplémentaires sont nécessaires». Pas sûr cependant que cela mette les autorités à l’abri des recours, en cas de scrutin serré de l’un ou l’autre objet. Même si Berne ne peint pas le diable sur la muraille: «Les constatations faites jusqu’ici n’indiquent pas de tentative illégale de prise d’influence dans le processus du vote.»
La Commission électorale centrale à Genève (chargée de contrôler les opérations électorales et composée d’un membre par parti représenté au Grand Conseil, de quatre membres indépendants et de cinq membres suppléants désignés par le Conseil d’Etat) a été alertée elle aussi. Son président, Samuel Terrier, n’a guère de doutes: «Je suis certain qu’il y aura des recours, à Genève, ce n’est pas possible autrement! Même si, à ce stade, nous avons la certitude qu’il n’y a pas eu de grosse magouille.» Il a donc convoqué la Commission en séance extraordinaire, mardi soir, pour informer les membres de l’affaire et en espérant une prise de position de la Chancellerie fédérale. Ironie de l’histoire, qu’il nous livre: ce scrutin était le dernier, à Genève, à devoir se dérouler dans les bureaux vétustes du SVE, qui ont déjà fait couler passablement d’encre. «Dans les prochains locaux, cet abandon de bulletins n’aurait pas été possible», raconte-t-il. Il en fallait de peu pour que tout se déroule normalement.
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