Star déchue de la gestion de fortune à Credit Suisse, L., ressortissant français de 54 ans, sera jugé par le Tribunal correctionnel de Genève pour escroquerie par métier, faux dans les titres et gestion déloyale aggravée. L’acte d’accusation du premier procureur Yves Bertossa, daté du 26 juin, vient d’être déposé, a appris Le Temps. Il est notamment reproché au prévenu d’avoir pillé les comptes de son plus gros client, l’oligarque et ancien premier ministre géorgien Bidzina Ivanishvili. Le préjudice global tourne autour des 100 millions de dollars.

Après une instruction qui a nécessité plusieurs perquisitions et commissions rogatoires, ainsi que la tenue de 45 audiences, le dossier est enfin mûr pour être jugé. Yves Bertossa confirme avoir bouclé son enquête et saisi le tribunal. Le banquier, détenu depuis début 2016, est en exécution anticipée de peine à la prison de La Brenaz. Il sera seul sur le banc des prévenus. «Les intermédiaires qui ont mis à disposition des outils ou des comptes pour permettre ces détournements font l’objet d’une procédure disjointe. De même, les plaintes déposées contre la banque seront examinées dans le cadre d’une autre procédure», explique le procureur.

Transferts et achats de luxe

Les actes reprochés au banquier, engagé par Credit Suisse en 2004, se divisent en trois volets. Le premier concerne les escroqueries. Entre octobre 2007 et mai 2011, le prévenu est accusé d’avoir transféré 89 millions de dollars, 24 millions d’euros et 9 millions de francs suisses des comptes de son richissime client géorgien vers les comptes d’autres clients afin de masquer des pertes colossales. Il aurait également acheté, pour le compte de Bidzina Ivanishvili, des titres détenus par ses autres clients à un prix largement supérieur au prix du marché.

Le prévenu, défendu par Me Simon Ntah, est aussi accusé de s’être personnellement enrichi en transférant des fonds sur des sociétés hors Credit Suisse, contrôlées par lui-même ou par son épouse. Cette dernière aurait ainsi reçu 1,5 million de dollars sur un compte ouvert à Monaco. L’argent a été dépensé en achats mobiliers, immobiliers ainsi qu’en produits de luxe.

Collage de signature

Pour dissimuler ses agissements, souligne l’acte d’accusation, L. aurait falsifié les instructions de transferts et de contrats de prêt, menti aux clients en affirmant que les crédits étaient justifiés par les investissements effectués et établi des relevés de fortune erronés qui ne disaient rien des pertes subies lors de la crise financière. Il aurait aussi déjoué le système de contrôle et de surveillance de Credit Suisse en usant de comptes cachés pour faire transiter certains montants. L’établissement a découvert la supercherie en septembre 2015.

Aux yeux du procureur Bertossa, L. a agi de la sorte pour favoriser et conserver certains clients. Cela lui permettait notamment d’augmenter sa propre rémunération, qui dépendait aussi des résultats obtenus. En 2013, cette rémunération s’est élevée à 2 millions de francs et en 2014 à 1,6 million de francs. Pour parvenir à ses fins, le prévenu aurait créé de toutes pièces des contrats de prêt portant sur des sommes importantes et fabriqué de fausses instructions tout en ajoutant la signature de l’oligarque géorgien par le biais d’un collage ou en l’imitant.

Le Français est enfin poursuivi pour gestion déloyale aggravée en lien, surtout, avec la chute du prix de l’action Raptor, titre dans lequel il avait trop massivement investi pour le compte du client géorgien tout en touchant des commissions. Vitaly Malkin, un oligarque russe, figure aussi au nombre des 12 parties plaignantes. Certaines d’entre elles ont également eu la mauvaise surprise de voir leurs comptes — ceux qui ont reçu à leur insu l’argent détourné à Bidzina Ivanishvili — séquestrés pour un total de 80 millions.

Faits admis à 99,9%

Les avoirs appartenant au gestionnaire, comptes ou biens immobiliers en Suisse et à l’étranger, ont été saisis à hauteur d’environ 20 millions de francs. Me Simon Ntah précise que son client «reconnaît 99,9% des faits» et qu’il a «intensivement collaboré à l’enquête». Selon l’avocat, ce banquier, qui gérait près de 2 milliards de fonds privés à lui tout seul, «a pris les mauvaises décisions au mauvais moment». Il n’a pas osé révéler les pertes immenses subies lors de la crise et a essayé de regagner l’argent en puisant sur les comptes de son plus riche client.

De leur côté, les conseils de Bidzina Ivanishvili, Mes Maurice Harari et Laurent Baeriswyl, se demandent encore «comment une grande banque a pu aussi peu surveiller quelqu’un qui était chargé d’un compte aussi important». Pas sûr du tout que le procès réponde à cette question. La date des débats doit encore être fixée.

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