Sexisme
Dès lundi, l’institution genevoise lance une campagne de sensibilisation autour du harcèlement sexuel et moral. Pour informer et soutenir les victimes, mais aussi les témoins

Cellule de soutien, guide pratique, panneaux d’affichage ou encore site internet: l’Université de Genève démarre dès lundi une campagne de sensibilisation pour lutter contre le harcèlement sexuel entre ses murs. Face aux dérapages sexistes, attouchements, mobbing et autres comportements inadéquats, l’institution prône la «tolérance zéro». Pour recueillir les plaintes des victimes et des témoins, une cellule d’écoute externe dotée de deux psychologues vient d’être mise en place. Une démarche inédite en Suisse. Directrice du Service égalité de l’Université de Genève, Brigitte Mantilleri a supervisé le groupe de travail à l’origine de la campagne durant un an. Entretien.
Le milieu académique souffre-t-il des mêmes failles que celui du showbiz?
Les problématiques de harcèlement et de sexisme sont universelles. Mais oui, dans les deux cas les relations de pouvoir, les rapports de domination et de dépendance favorisent les situations à risque et entretiennent une certaine omerta. Malgré le sceau de l’excellence, l’université en tant qu’institution très hiérarchisée n’est pas épargnée. Le prestige d’un enseignant, l’argent investi dans une chaire, peut faire et défaire des carrières. Lorsqu’une victime dépend d’un professeur pour sa thèse, son financement, sa réputation, il est d’autant plus difficile pour elle de le dénoncer. Faute de plaintes formelles ou de véritables sanctions, les auteurs se sentent tout-puissants.
Qu’est-ce qui a motivé cette campagne baptisée #uniunie?
En 2016, l’Université a commandé une enquête sur l’impact du facteur humain sur les carrières académiques. Les résultats ont mis en lumière le sexisme comme entrave à l’ascension professionnelle des femmes à tous les échelons, de l’étudiante à la chercheuse qualifiée. Les personnes interrogées ont relayé du sexisme bienveillant voire hostile, des remarques sur leur maternité, des préjugés tenaces selon lesquels à l’époque les femmes qui étudiaient n’avaient pas autant d’ambition. Le rectorat a surtout été surpris de l’ampleur des conséquences: départ, dépression, stress post-traumatique, carrière fauchée. Ce fut un électrochoc. Jusqu’ici, les appels au secours étaient dilués, donnés par bribes, sous le sceau du secret.
En avez-vous reçu personnellement?
De nombreuses femmes m’ont confié avoir dû affronter des blagues salaces, des gestes déplacés, ou encore du mobbing, des pressions pour avoir refusé des avances. D’autres m’ont également raconté s’être senties terriblement empruntées lors d’un dîner avec un supérieur ou dans l’ascenseur. Lorsque j’ai tenté d’alerter la hiérarchie sur ces dysfonctionnements, je me suis vite retrouvée bloquée. Dans certains cas, une convocation par le doyen a suffi, dans d’autres non. A l’université, le seul recours possible est l’enquête administrative. Pour la déclencher, la victime doit accepter de se livrer en pleine lumière, quitte à mettre son poste en péril, ce qui est souvent très compliqué.
Vous insistez sur le rôle des hommes, pourquoi?
Un jour, un jeune professeur est venu se plaindre des agissements déplacés d’un collègue auprès d’une jeune doctorante. Beaucoup d’hommes sont exaspérés par le comportement de leurs pairs, par ces blagues salaces qui mettent tout le monde mal à l’aise. Ils doivent se sentir concernés et oser les dénoncer. Il faut en finir avec la solidarité masculine à tout prix. Il y a quelques prédateurs, des misogynes, mais il y a surtout beaucoup d’hommes qui minimisent les conséquences. Au sein de l’université, le message doit être clair: tolérance zéro.
Lire aussi: Après l’affaire Weinstein, «plus rien ne sera comme avant»