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Marco Mattille, le flic aux pinceaux

Figure légendaire de la police genevoise, le commissaire à la retraite se consacre désormais à son autre passion, l’aquarelle. Il expose prochainement ces paysages paisibles dans une galerie de Meinier. L’occasion de rappeler de mythiques souvenirs

Marco Mattille photographié dans son appartement, le 11 mai 2022. — © David Wagnières pour Le Temps
Marco Mattille photographié dans son appartement, le 11 mai 2022. — © David Wagnières pour Le Temps

Au sein de la police genevoise, il était surnommé «double mètre» en référence à sa taille de géant. Marc Mattille, ou plutôt Marco pour rester fidèle à sa maman italienne, figure légendaire de la brigade criminelle, un physique de lutteur à décourager le plus endurci des délinquants, a définitivement troqué son arme de service pour des pinceaux. Une retraite bien méritée lui a permis de parfaire ses talents d’aquarelliste avec une prédilection pour les paysages lacustres. Il exposera prochainement ses œuvres dans une galerie de la commune de Meinier. L’occasion de réveiller l’inépuisable boîte à souvenirs de ce commissaire devenu célèbre loin à la ronde depuis «le hold-up du siècle» au siège de ce qui était encore l’Union de Banques Suisses, en plein centre de la Cité de Calvin.

Pour cet enfant du quartier de Saint-Jean, le métier de policier s’impose comme une évidence en voyant son oncle, carabinier en Vénétie, débarquer en Alfa Romeo avec son bel uniforme. Papa, employé de la poste et syndicaliste, n’apprécie pas trop et préfère le voir au géant jaune ou aux CFF. Mais pas de quoi décourager le jeune Marco. Après un apprentissage commercial chez Swissair qui lui permet de maîtriser quatre langues, il rejoint la Sûreté (qui deviendra la police judiciaire) malgré un piètre résultat à l’examen de dictée. «J’avais 20 ans et je faisais déjà de la lutte gréco-romaine. J’ai été engagé d’emblée car j’étais un grand costaud.»

Tir et fanfare

Cette taille de 2 mètres n’a pas que des avantages. «Lors des perquisitions, je faisais les tiroirs du haut et les collègues plus petits ceux du bas», s’amuse-t-il. Le plus souvent, c’est une aide précieuse, sorte de force dissuasive. «Je n’avais aucun souci pour empoigner quelqu’un et lui passer les menottes. Le voyou renonçait souvent de lui-même à résister en me voyant. Il m’est aussi arrivé de porter un détenu qui s’opposait à son extradition pour le mettre dans l’avion.» Enrôlé dans la fanfare de la police, il choisit évidemment le tuba.

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Doué au tir, l’inspecteur Mattille est rapidement formé à la protection rapprochée des personnalités qui passent par Genève. Il accompagne ainsi le président Jacques Chirac lors de la visite d’un musée de la place et veille au grain lors de la fameuse rencontre entre Bill Clinton et Hafez al-Assad, en janvier 1994. Mais ce sont surtout les enquêtes criminelles et la poursuite des malfrats, parfois avec fusillade en prime, qui font l’essence de son job.

Marco Mattille dans son appartement de Veigy-Foncenex, en France voisine. — © David Wagnières pour Le Temps
Marco Mattille dans son appartement de Veigy-Foncenex, en France voisine. — © David Wagnières pour Le Temps

L’affaire la plus marquante est évidemment celle du casse de l’UBS. Ce dimanche matin, 25 mars 1990, il est de permanence lorsque la nouvelle lui tombe dessus. Cinq truands armés, gantés et masqués – très bien renseignés par des compliceslocaux qui ne toucheront pas un centime et qui seront les seuls finalement condamnés – ont dévalisé les coffres du service des monnaies étrangères de la banque et emporté quelque 31 millions de francs. Soit 220 kg de petites coupures jetées dans des sacs de sport. Le butin ne sera jamais récupéré. «Sur place, il y avait encore des billets partout, ils n’avaient pas eu le temps de tout emporter», se rappelle Marco Mattille.

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Avec le juge d’instruction Jean-Pierre Trembley, tout aussi curieux et tenace que lui, le grand flic s’embarque dans cette histoire passionnante qui le mène en Corse et au contact du gang de la Brise de mer, du nom bucolique de ce bar du vieux port de Bastia où certains de ses membres ont leurs habitudes. Un établissement que le policier immortalise dans une esquisse alors qu’il est en planque. La meilleure manière de passer inaperçu et de conjuguer ses deux passions.

Je n’avais aucun souci pour empoigner quelqu’un et lui passer les menottes. Le voyou renonçait souvent de lui-même à résister en me voyant

Décrocher du pire

Marco Mattille finit sa carrière comme commissaire, à une période de vives tensions internes, et débarque en cette qualité sur la scène mémorable d’un crime qui marquera aussi les annales judiciaires genevoises. Le meurtre du banquier Edouard Stern, le 28 février 2005, tué de quatre balles par sa maîtresse dans une intimité très spéciale.

Trois ans plus tard, la retraite sonne pour ce policier dans l’âme. Il ne prolonge pas, même s’il n’a que 53 ans. «J’avais fait ma part», relève-t-il. Avec des expériences qui s’impriment à jamais. Comme ce jour où, chassant le cambrioleur, il est intrigué par un véhicule garé de nuit sur un parking du quartier de la Praille et découvre deux corps. Celui d’un père qui s’est tiré une balle dans la tête après avoir tué de la même manière sa petite fille de 8 ans, assise sur la banquette arrière. Marco Mattille devine déjà la terrible suite. La maman sera retrouvée chez elle, massacrée.

Lire finalement: Les dessous d’un affrontement qui divise l’état-major de la police genevoise

Les pinceaux, qui l’ont aidé à décrocher de ces horreurs durant sa carrière, deviennent ses compagnons de tous les jours. Il part s’établir à Soulac-sur-Mer, dans le sud-ouest de la France, avec son épouse. Les paysages océaniques fournissent une riche matière à cet inconditionnel de l’aquarelle. «Le rapport eau, papier, pigments n’attend pas. C’est spontané.» De retour dans la région genevoise depuis quatre ans, pour être plus proche de ses deux enfants et de sa petite-fille, il tire désormais son inspiration paisible du lac, des bateaux, des rivières et des arbres. «Je suis attaché au réel.» Et continue de se passionner, de loin, pour les enquêtes criminelles. «Flic un jour, flic toujours.»

Exposition à la Galerie Le Coin du Centre à Meinier, du jeudi 2 au dimanche 12 juin 2022.


Profil

1955: Naissance à Genève.

1976: Entrée dans la police.

1990: Hold-up de l’UBS à Genève.

2008: Départ à la retraite.

2022: Exposition à Meinier.


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