Un burger raffiné servi gratuitement par un grand patron. Vendredi, sous la houlette d’economiesuisse, des entrepreneurs vont quitter salons et usines pour s’improviser bistrotiers magnanimes. Rue de la Confédération à Genève, à midi, ils offriront, dans un foodtruck vert rutilant, des hamburgers préparés avec des produits du terroir. Après Genève, puis Neuchâtel et Sion, ils finiront leur course le 26 mai à Lausanne pour un grand débat public.

Auraient-ils perdu le sens commun? Non pas. Pour le banquier Patrick Odier et ses coréligionnaires d’autres secteurs, l’exercice de la dînette en foodtruck, baptisé «Pour une Suisse ouverte + souveraine», revêt autant d’enjeux qu’un déjeuner d’affaire. Il s’agit de faire passer un message à la population: la voie bilatérale est indispensable à la prospérité de la Suisse, il s’agit de ne pas la flinguer.

Quand l’économie fait son autocritique

C’est que le monde de l’économie a fait son autocritique après le succès de l’initiative du 9 février 2014. «Nous avions commencé la campagne trop tard, admet Cristina Gaggini, directrice romande d’economiesuisse. Nous avons aussi compris que des affiches ne suffisent pas à convaincre lorsque le malaise est profond. Il nous fallait aller dans la rue.» Aussi la Fédération des entreprises suisses a-t-elle décidé de corriger le tir de la plus plaisante des manières, à l’approche des débats aux Chambres fédérales sur la mise en œuvre de l’initiative «contre l’immigration de masse» et en vue des votations fédérales sur les relations de la Suisse avec l’Union européenne.

Economiesuisse doit-elle cette idée mode à un fringuant communiquant? Pas du tout. L’action foodtruck a été décidée en interne, après une première offensive de séduction démarrée en 2015. Première étape: des rencontres avec la population dans des régions de Suisse où le «oui» à l’initiative l’avait emporté, histoire de comprendre les motivations pour mieux pouvoir les infléchir. Seconde étape: des journées portes ouvertes dans plusieurs grandes sociétés: «Lorsqu’un patron explique comment il travaille et ce dont il dépend, les gens prennent conscience que ce sont des faits, et pas juste des mots», explique Carmelo Laganà, responsable de projets à economiesuisse. «Il s’agit de dépasser le mantra qui consiste à répéter l’importance de la voie bilatérale sans l’expliquer concrètement», complète Cristina Gaggini.

Ecouter avant de prêcher la bonne parole

Mais le souci de dispenser la bonne parole n’est pas son seul objectif: «Il est aussi nécessaire que les patrons entendent les préoccupations de la population». Patrick Odier notamment l’a compris: «Je me mobilise pour écouter les craintes avant de donner mon éclairage. Beaucoup de gens font l’amalgame entre les questions de sécurité dues à l’immigration et la libre circulation des employés. Je rappelle alors qu’il faut distinguer ces deux sujets et j’insiste sur notre relation avec l’UE qui doit être un partenariat, dans tous les domaines. Exemple: il ne reste que quelques mois pour trouver un accord sur le programme-cadre de recherche Horizon 2020.» Mais tous ne sont pas aussi investis que le banquier genevois. Cristina Gaggini admet que convaincre les patrons est un défi, peu coutumiers qu’ils sont de s’impliquer dans le débat public.

Du coup, des politiques seront aussi présents sur le trajet du foodtruck, eux qui sont rompus à l’exercice. C’est tellement vrai que certains seront là sans savoir pourquoi, comme Romain de Sainte Marie, député socialiste au Grand conseil genevois, qui croyait participer à un débat sur le foodtruck comme nouveau mode de consommation! «Le quiproquo est marrant, s’amuse-t-il, mais si le débat porte sur les bilatérales, ce sera encore plus intéressant.» Alliés sur ce dossier, des politiciens de droite comme de gauche seront là. Le seul parti à ne pas avoir été invité au joyeux régal est l’UDC. Il ne lui restera qu’à payer ses burgers pendant que les autres règlent les pots cassés.