Hautes écoles
Les attitudes déplacées de certains enseignants envers des chercheuses et des étudiantes restent un sujet tabou. A Genève et à Lausanne, des associations exigent des rectorats la mise en place de politiques plus efficaces de prévention et de prise en charge

Plaisanteries et propos déplacés, regards pleins de sous-entendus, tapes sur les fesses et autres gestes inopportuns de la part de professeurs envers des doctorantes ou des étudiantes: au sein des universités, en raison de liens hiérarchiques et d’interdépendances complexes, le harcèlement sexuel reste un sujet souvent tabou.
Préoccupées par des cas remontés jusqu’à elles, des associations de chercheurs et d’étudiants, dans l’arc lémanique notamment, interpellent les rectorats et clament, haut et fort, qu’elles ne tolèrent plus de tels comportements. «Le dispositif de prise en charge des cas de harcèlement à l’Université de Lausanne (UNIL) n’est pas à la hauteur, critique ainsi Dominique Gigon, secrétaire général d’Acidul, l’Association du corps intermédiaire et des doctorants et doctorantes. Nous demandons la mise en place d’une meilleure prévention et d’une structure dédiée au sein de l’université, qui puisse orienter les personnes qui se posent des questions sur ce qu’elles vivent et soutenir les victimes».
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Dans quelques jours, trois motions seront déposées par les représentants des chercheurs et des étudiants en perspective du prochain Conseil de l’université qui se tiendra le 15 décembre. Ces textes évoquent le harcèlement au sens large, mais le harcèlement sexuel est particulièrement dans le viseur: un cas au sein de la faculté de biologie et de médecine (FBM), datant de 2015, a mis en émoi une partie du campus et cristallisé les revendications. Le malaise dépasse toutefois le campus de Dorigny: une campagne nationale pour une «formation sans harcèlement», qui s’appuie sur un site web, a été lancée le 15 novembre par plusieurs associations et syndicats d’étudiants, dont la CUAE à Genève.
Des sanctions prises
Dans le cas de la FBM, la situation a été prise en charge. La jeune femme concernée, doctorante à l’époque, a contacté le médiateur de l’UNIL. Celui-ci l’a orientée vers le groupe Impact, l’instance chargée de la gestion des conflits et du harcèlement de l'Etat de Vaud. Après enquête, le groupe a admis, en janvier dernier, le harcèlement sexuel. «Le groupe Impact a rendu un rapport dont nous avons adopté les conclusions. Nous avons ensuite pris des sanctions, notamment une mesure d’éloignement de la personne qui a perdu son laboratoire et a été déplacée physiquement. Des mesures administratives ont également été prises», explique Martial Pasquier, vice-recteur chargé des ressources humaines. De manière générale, poursuit-il, «toutes les situations qui remontent jusqu’à la direction sont traitées et des mesures sont prises. Ainsi, dans une autre affaire qui est montée jusqu’au Tribunal fédéral, le professeur concerné a été licencié.»
Certains directeurs de thèse s’adressent à leurs doctorantes en utilisant des interpellations peu adaptées telles que «ma petite», «ma belle» ou «ma chérie»
Les associations qui reçoivent des victimes ou des témoins de propos comme de gestes déplacés, jugent pourtant la situation insatisfaisante. «Pour le moment, les doctorantes, les assistantes, les chercheurs comme les autres personnes concernées ne savent pas à qui s’adresser. Parfois, les personnes aimeraient qu’on les aide à identifier une situation, savoir si ce qu’il se passe constitue ou non du harcèlement sexuel ou moral et comment intervenir avant que la situation ne dérape. Lorsque les cas sont graves, dans le cas du harcèlement sexuel en particulier, la médiation ne suffit pas, ce n’est pas le bon outil», estime Dominique Gigon. Impossible de savoir quelle est l’ampleur du problème: il n’a jamais été mesuré. «Nous sommes régulièrement amenés à suivre des situations, mais nombre d’entre elles ne sont jamais portées à la connaissance de quiconque, la structure même de la hiérarchie universitaire, cloisonnée en unités de recherche, rend la parole difficile», poursuit-il.
Un électrochoc
A l’Université de Genève, un récent rapport a contribué à libérer la parole et la direction elle-même endosse un discours offensif, qui fait écho à celui d’Acidul. «Ce qui a été mis en place ces dernières années, par exemple la possibilité de recourir à des médiations, n’est clairement pas suffisant dans ces cas de figure. Cela ne permet ni aux jeunes femmes d’être suivies correctement, ni aux auteurs d’actes répréhensibles d’être punis», constate Brigitte Mantilleri, la directrice du Service égalité.
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C’est une enquête sur les carrières académiques et le sexisme à l’université, dont les résultats ont été dévoilés fin novembre, qui «a fait l’effet d’un électrochoc» au sein du rectorat, parmi les doyens et les doyennes des facultés, ainsi qu’au collège professoral, poursuit Brigitte Mantilleri. Des témoignages recueillis au cours d’entretiens ont, par exemple, permis de lever le voile sur une pratique qualifiée de «courante» par le rapport: «Certains directeurs de thèse s’adressent à leurs doctorantes en utilisant des interpellations peu adaptées aux relations professionnelles et hiérarchiques, telles que «ma petite», «ma belle», «ma chérie», «ma mignonne», «ma poulette», «mon enfant» ou «mon amour».
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Ce rapport a décidé «le rectorat à inscrire la lutte contre le harcèlement comme une priorité», ajoute la directrice du Service égalité. Un groupe de travail a été mis sur pied, composé des directions des ressources humaines, de l’égalité et du service juridique, ainsi que d’un doyen: «Nous sommes en train de concevoir un nouveau dispositif, qui comprendra probablement des personnes relais dans les facultés. L’une des difficultés, c’est la relation d’interdépendance hiérarchique très forte qui peut exister. Il faut donc trouver un mécanisme qui protège l’anonymat des personnes». Un guide sera aussi rédigé pour donner des outils aux personnes en charge d’équipes et une campagne d’information est prévue.
Renforcer les dispositifs
A Lausanne, le discours n’est pas aussi combatif, mais le rectorat a néanmoins décidé de renforcer les dispositifs existants: «En plus du médiateur, une médiatrice sera engagée au début de l’année prochaine, explique Martial Pasquier. L’ensemble des organes universitaires seront sensibilisés aux problèmes et à la gestion des conflits, ainsi que du harcèlement. Enfin, les missions de DialogUnil seront adaptées.» Ce réseau devrait être réanimé et ses membres pourraient servir de relais entre la communauté universitaire et la direction. Ces mesures seront-elles jugées suffisantes par les chercheurs et les étudiants? Au Conseil de l’université, ainsi qu’en coulisses, la discussion risque d’être vive.