Près d’un demi-siècle après le début de son parcours politique, le combat écologique de cette élue pour la «sauvegarde de la Création» n’a rien perdu de son actualité. Les peuples sont interdépendants et coresponsables dans la gestion des ressources de la planète, «ou bien nous nous sauverons tous, ou bien nous périrons tous», alertait-elle dans un ouvrage mêlant souvenirs et bilan politique*.
A Meyrin, paradis perdu
Contrastant avec cet inquiétant horizon, son enfance ressemble au paradis perdu. Meyrin, où elle naît en 1922, est encore à l’époque au milieu des champs. Il y a des haies, des oiseaux. Ses parents, tous deux instituteurs, sont musiciens et écrivains à leurs heures, soucieux du bien commun, protestants enracinés. On va à l’école du dimanche, aux soirées de la Croix-Bleue.
La médecine tenterait la jeune fille, aînée de quatre enfants, mais, même dans sa famille, les études universitaires sont réservées aux garçons. Monique Lagier, qui défendra plus tard inlassablement la cause de l’égalité, sera donc à son tour enseignante. Mais quand Paul Bauer, le médecin radiologue qu’elle a épousé et dont elle a eu trois filles, devient chef de clinique à l’Hôpital cantonal, elle décide de se consacrer entièrement à son foyer.
La famille a quitté le quartier bourgeois de Champel pour s’installer à Onex. Ce sont les années 60, on voit sortir de terre la Cité nouvelle, qui va transformer ce petit village en une banlieue de 17 000 habitants. Monique Bauer s’implique dans l’ouverture de la crèche et des cuisines scolaires, ses premiers engagements publics.
Les enfants élevés, son parcours politique commence, tardif mais fulgurant. En 1973, elle est élue au Grand Conseil, où elle se fait remarquer en lançant la récupération du verre et du papier. Aux élections fédérales de 1975, la voilà qui entre déjà au Conseil national.
Le libéralisme comme évidence
Pour la quinquagénaire qui se jette dans l’arène, l’adhésion au Parti libéral est une évidence. Père, grand-père, arrière-grand-père en ont été. Elle se perçoit du reste comme une authentique libérale, aussi fervente d’initiative et de responsabilité individuelle que méfiante face à la mainmise de l’Etat. Mais c’est un libéralisme mêlé d’une conscience sociale aiguë, qu’elle associait à l’«Esprit de Genève» et liait à son éducation protestante. Ce libéralisme-là «ne saurait se réduire à sa dimension économique à court terme, il est inséparable de la solidarité avec les plus démunis, chez nous et dans le monde, et de la responsabilité à l’égard des générations qui nous suivront».Monique Bauer-Lagier fait partie des personnalités qui vont ouvrir la voie aux partis verts encore dans les limbes. Comme elle chez les libéraux, René Longet agit chez les socialistes, Gilles Petitpierre chez les radicaux, Philippe Roch chez les démocrates-chrétiens. Tous se retrouvent dans les séances de l’Institut suisse de la vie, tous ont lu avec passion «Halte à la croissance?», le rapport du Club de Rome (1972).
«La seule fois où mon parti a été fier de moi»
De tous ces écologistes avant l’heure, c’est elle qui avalera le plus de couleuvres. N’est-ce pas dans son propre parti que l’on trouve ses plus implacables adversaires? Sous la coupole fédérale, elle est bien élue et réélue, mais elle insupporte toujours plus son propre bord, à force de défendre le moratoire nucléaire après Tchernobyl, l’accueil des réfugiés, l’équilibre dans les relations Nord-Sud, la cause de la paix et les droits des femmes.
«La seule fois où mon parti a été fier de moi, c’est quand je suis entrée à la commission militaire», grince-t-elle un jour. Après son mandat au National, le Parti libéral cherche à l’évincer pour les élections de 1979, mais la trop insoumise élue est sauvée in extremis par une place à prendre aux Etats, où elle entre et sera réélue en 1983. La rupture interviendra quatre ans plus tard: elle annonce son retrait, avant de décider, poussée par un comité de soutien, de tenter sa chance en indépendante.
Ce sera l’échec. De sa plume acérée, l’influente journaliste Françoise Buffat l’avait pourtant avertie qu’elle risquait de devoir partir la tête basse, au lieu de finir en beauté, avec l’auréole d’une martyre lâchée par les libéraux, mais par eux seuls.
Un caractère entier
Sous son élégance de bonne société, sa courtoisie sans faille, son langage châtié émaillé de tournures désuètes, son ton parfois pastoral, la dame faisait preuve d’une forte détermination. Celle que permet une indépendance complète: Monique Bauer-Lagier était fière d’avoir refusé le siège offert par une banque dans son conseil d’administration, alors que tant de parlementaires collectionnent ce genre de mandats.
La libérale rappelait aux siens ce qu’ils ne voulaient pas entendre, comme un aiguillon de conscience morale. Son intransigeance sur les valeurs tout comme son caractère entier l’ont condamnée alors à l’isolement. Ils la font apparaître aujourd’hui comme une figure prémonitoire de la politique. Après le parlement, Monique Bauer-Lagier prendra encore la présidence de l’Aide suisse contre le sida. Elle mourra en 2006, à 83 ans, au milieu des arbres et des oiseaux de L’Allégrerie, sa belle maison d’Onex, où elle aimait tant recevoir.
Profil 1922 Naissance le 1er décembre à Meyrin (GE)
1941 Maturité latine à l’Ecole supérieure de Jeunes filles de la rue Voltaire
1973 Election au Grand Conseil genevois
1975 Election au Conseil national, aux Etats en 1979
1987 Rupture avec le Parti libéral et échec de sa réélection en indépendante
2006 Mort le 19 février à Onex (GE)
Prochain épisode: Violeta Parra
* «Une Femme en politique», Labor et Fides (1996)