Transformer une galerie marchande à Genève ne se fait pas en un claquement de doigts. Le Zurichois Credit Suisse Fondation de placement l’a appris à ses dépens. Propriétaire majoritaire de Confédération Centre depuis onze ans, la caisse de pension à la tête d'un patrimoine immobilier d'environ 5 milliards de francs doit déposer un permis de construire le mois prochain. Cette étape administrative, initialement prévue fin 2014, intervient alors que l’avenir du centre commercial parmi les plus emblématiques des Rues-Basses est toujours suspendu à des recours légaux et autres négociations cruciales.

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Les travaux devaient débuter en 2017. Il n’y a finalement aucune chance pour que le chantier soit livré avant 2020. «Le retard pris par rapport au scénario le plus optimiste est dû à la complexité juridique du site», résume Marc Comina, en charge de la communication du projet. Petit vade-mecum d’un lifting sans fin.

Le pari du luxe

Confédération Centre est sorti de terre en 1986. Le défrichage réglementaire pour lancer des travaux à 400 millions de francs avait à l’époque pris deux ans. Mais il a fallu une décennie de plus pour livrer le «plus grand chantier urbain de Suisse», titrait alors la presse. Les propriétaires de l’époque, UBS et SBS, souhaitaient à l’origine accueillir dans leur nouvel écrin des espaces dédiés exclusivement à la gestion de fortune. Les pouvoirs publics y prescrivent au contraire la mixité. Une contrainte qui, en standards bancaires, s’est traduite par un panachage d’enseignes hors de prix. C’est alors la déroute; le dispositif se forge la réputation d’être impossible à rentabiliser. La crise immobilière aidant, Confédération Centre est racheté en 1987 – soit seulement un an après son inauguration – par le promoteur Gabriel Tamman, qui baisse les loyers et change l’assortiment de boutiques au profit du tout-venant.

Une galerie fourre-tout qui a pris de l’âge

2005: Credit Suisse Fondation de placement rachète le site fait de bric et de broc, en copropriété avec plusieurs dizaines de privés. L’endroit, autrefois point de rencontre naturel des Genevois, a au fil des années perdu l’essentiel de son pouvoir d’attraction. Esthétiquement décevant et fonctionnellement inadapté, il n’est demeure pas moins idéalement situé. Pire: après des décennies d’exploitation, le périmètre serait dans un état grave. Un gouffre énergétique, estime sa régie Wincasa, qui lui attribue des fuites d’eau permanentes. La caisse de pension du Credit Suisse décide donc de débloquer quelque 60 millions pour moderniser et revitaliser l’ensemble.

Nous sommes en 2011. Les transformations s’annoncent lourdes. Les locaux sont censés être vidés de leurs locataires. La levée de boucliers de dizaines de magasins, dont les baux s’échelonnent entre 2012 et 2027, est immédiate. S’ensuit un chapelet de recours, de campagnes médiatiques et autre écume politique. Face à un tel niveau de défiance, Credit Suisse Fondation de placement joue la carte de la conciliation.

Mais la mosaïque de cas particuliers est difficile à gérer. Certaines enseignes obtiennent la prolongation temporaire de leur présence. D’autres optent pour un départ anticipé ou acceptent de déménager au premier coup de pioche. Les cinémas Pathé Rex sont au bénéfice d’un accord ad hoc, qui se traduit par leur retour sur de plus grandes surfaces (cinq salles au lieu de trois actuellement). Idem pour la Brasserie Lipp, jouissant d’un arrangement particulier et qui restera ouverte durant la réfection.

Résistance tenace

Bilan, à ce jour: 37 enseignes ont trouvé un terrain d’entente. Mais cinq autres posent toujours problème. Visilab et Pharmacie Populaire (bail échu à fin 2014), dont les procédures judiciaires ont été suspendues, sont en train de négocier. «Nous espérons rester ouverts durant les travaux, en déplaçant nos activités au gré des différentes phases du chantier», résume Daniel Mori, patron du numéro un de l’optique en Suisse. Un seul commerce refuse encore de déposer les armes. Le récalcitrant, dont nous n’avons pas obtenu l’identité, attend une décision des Tribunaux (procédure en seconde instance). Voilà pour les locataires.

La situation des copropriétaires est plus délicate. Ces derniers, coalisés sous les noms de PATAC et de Bémont, se partagent la quarantaine d’appartements et bureaux de Confédération Centre (le bâtiment fait huit étages, dont trois uniquement dévolus aux commerces). Le premier groupement détient même sept boutiques, ce qui complique davantage la marge de manœuvre de Credit Suisse Fondation de placement. En ce qui concerne la gestion du chantier, la sensibilité de ces partenaires s’exprime à une majorité simple. Le 22 mars denier, leurs assemblées générales extraordinaires ont voté le dépôt – début mai – d’un permis de construire. Bientôt le terme de la planification des travaux? Loin s’en faut: pour les servitudes des passages, dont la procédure n’en est qu’à son milieu, il faut l’unanimité des parties prenantes. Après un an et demi de discussions, un accord principe a été trouvé sur le montant d’indemnisation lié à la modification de l’assiette (affinage des couloirs, escalier circulaire, etc.). Ce sera un peu plus de 3,116 millions de francs, répartis à parts égales entre PATAK, Bémont et la ville de Genève.

Rentabilité maintenue?

«La caisse de pension du Credit Suisse pensait que tout allait se régler comme du papier à musique. Elle ne s’attendait pas à trouver un tel marigot légal», témoigne une source interne. Ce d’autant plus que le temps commence à presser: le vis-à-vis flambant neuf qui a ses entrées à la Rue du Rhône vient d’ouvrir et les magasins alentour ont presque tous été modernisés.

Qu’en est-il du concept marketing prévu pour le futur Confédération Centre? A ce stade, rien n’est fixé. «Une enseigne veut savoir quand les surfaces seront disponibles. Tant qu’il n’y aura pas de permis de construire en force, ce qui, selon les scénarios, peut prendre encore entre 12 et 30 mois, la commercialisation ne pourra donc pas commencer», conclut Marc Comina, lequel dément toute perte d’argent de la galerie, sans toutefois formuler de chiffres de rentabilité. L’espace, qui s’étend sur environ 110 mètres de longueur, pour 50 mètres de largeur (11 500 m² de surface utiles), prévoit de se doter de portes coulissantes à toutes les entrées, avec la fermeture de ces accès la nuit, ce qu’à l’époque les autorités avaient obstinément refusé à cause des servitudes de passage. Le propriétaire majoritaire espère réaliser notamment des triplex commerciaux, avec l’option de concentrer tous les restaurants au 2e étage.