Le mur des Réformateurs, réceptacle des luttes les plus diverses
Histoire
Le célèbre monument érigé en 1917 est régulièrement peinturluré au nom des revendications féministes, communistes ou encore LGBTQI+. Inlassablement, la ville de Genève nettoie et porte plainte

Fête du travail, Journée des droits des femmes ou encore, tout récemment, Gay Pride: le mur des Réformateurs, à Genève, est régulièrement la cible des mouvements sociaux les plus divers. A coups de jets de peinture ou de slogans provocateurs, les revendications contemporaines viennent côtoyer les figures de la Réforme protestante adossés à l’enceinte de la Vieille-Ville, au cœur du parc des Bastions.
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Dernier épisode en date: un barbouillage multicolore apparu au lendemain de la Gay Pride, le 14 juillet. Assorti d’un virulent pamphlet accusant les autorités municipales de récupération, le geste n’a pas été cautionné par les principales associations LGBTQI+, qui ont dénoncé un acte de vandalisme contre-productif. Le 8 mars dernier, c’était une piquante interrogation «Où sont les femmes*?» qui venait titiller le monument érigé en 1917. Une signature aussi lisible que les litres de peinture rouge versés très régulièrement le 1er mai.
Sept jours de travail
A chaque incident, l’équipe d’ouvriers consacrée à l’entretien des monuments de la ville de Genève est dépêchée en urgence. «Les techniques de nettoyage requièrent une grande prudence afin de ne pas endommager le bâtiment, souligne Isabelle Charollais, codirectrice du Département des constructions et de l’aménagement. Il faut bien connaître les matériaux sur lesquels on intervient.»
Dans ce cas précis, les dommages sur la pierre de Bourgogne, issue de la carrière de Pouillenay, près de Dijon, ont nécessité l’intervention de deux hommes à plein temps durant sept jours. «Ils ont procédé à un nettoyage à l’eau chaude à très basse pression, par couches successives, jusqu’à ce que la peinture parte», détaille Isabelle Charollais. Coût de l’opération: environ 10 000 francs, auxquels s’ajoute la location d’une nacelle pour 3000 francs. Comme toujours, la ville a déposé plainte contre X, mais elle précise qu’il est rare de voir les auteurs arrêtés.
Monument identitaire
Pourquoi tant de haine envers l’œuvre des architectes Alphonse Laverrière et Jean Taillens? Pour Sarah Scholl, chercheuse à la Faculté de théologie de l’Université de Genève, le mur des Réformateurs est un «grand quiproquo». A l’origine, il répond à une volonté, celle de fabriquer une «mémoire protestante progressiste», empreinte de liberté et de démocratie. «On veut inscrire le protestantisme genevois dans un réseau international porté par les Lumières et soutenir tant la liberté religieuse dans le monde que la Genève laïque du XXe siècle.» Une démarche d’autant plus lourde de sens que les protestants genevois sont très avares en signes de mémoire.
Cible manquée
L’œuvre n’est cependant pas celle des autorités mais de privés, désireux de montrer le rayonnement du protestantisme au moment des 400 ans de la naissance de Jean Calvin. «Le mur contient des références aux protestantismes hongrois, écossais ou encore allemand, pays qui ont financé une partie de sa construction, note Sarah Scholl. Au moment de son inauguration, en 1917, ces alliés internationaux sont en guerre les uns contre les autres. Le projet manque sa cible.»
En somme, le mur semble avoir été en perpétuel décalage avec son temps. «Il est conçu comme une leçon d’histoire qui requiert des connaissances sur les origines de la Réforme que les Genevois n’ont pas ou plus à cette époque, souligne Sarah Scholl. Au moment de son inauguration, le protestantisme officiel et obligatoire est sur le déclin et le mur est déjà incompréhensible.» Inévitablement, avec les années, on n’a retenu que l’aspect esthétique, celui d’un «monument massif, intello et austère, symbole de la vieille Genève patricienne, patriarcale et liberticide».
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C’est à cette représentation du monde jugée dépassée que les différents mouvements sociaux s’attaquent en taguant le mur. Son emplacement au cœur des Bastions, point de convergence de la plupart des manifestations, en fait une cible de choix. Mais elle n’a pas toujours été la seule. «Au début du XXe siècle, des attentats anarchistes visaient encore le parvis de la cathédrale Saint-Pierre», souligne Sarah Scholl.
Pas de «monument sacré»
Directeur du Musée de la Réforme, Gabriel de Montmollin ne se formalise pas des attaques récurrentes contre le mur des Réformateurs. «Même s’il est évident qu’on ne peut tolérer sans autre de telles dégradations, un monument dans l’espace public est forcément exposé, estime-t-il. Par ailleurs, le protestantisme refuse la sacralisation.» A ses yeux, cette contestation traduit une certaine image de la Réforme qui existe dans la société, celle d’un protestantisme puritain et austère. «Il faut toutefois rappeler que la Réforme a aussi fait beaucoup pour la liberté de conscience, d’expression et le respect des minorités. En cela, ces actions sont pleines d’enseignements, mais aussi de paradoxes.»