La grande mosquée de Genève tient enfin son nouvel imam: Noureddine Ferjani, un Suisse d’origine tunisienne, officiant comme imam bénévole à la Chaux-de-Fonds et à Neuchâtel, a révélé lundi la Tribune de Genève.

Cette nomination intervient dans un contexte explosif. Après avoir licencié cet automne un imam algérien, recruté ensuite un imam controversé en Suisse alémanique, puis résilié son contrat sous la pression, la direction de la Fondation culturelle islamique de Genève (FCIG) estime avoir enfin trouvé la perle rare. Noureddine Ferjani a étudié la théologie et la philosophie au Soudan. En 1998, il demande l’asile politique en Suisse, où il fait des études de droit à l’Université de Neuchâtel. Après son master, il effectue des stages au tribunal, au service juridique du canton et à l’Office des poursuites. Décrit par la FCIG comme un sunnite modéré, il répond aux questions du Temps.

Le Temps: Vous arrivez à la mosquée de Genève dans un climat très tendu. Cela ne vous a pas découragé?

Noureddine Ferjani: Je vais être franc. Comme Neuchâtelois, je lis l’Express et ne suis pas de près l’actualité genevoise. Je suis peut-être mal informé, mais je n’ai pas l’impression d’arriver dans un climat tendu.

- En tant que juriste, pourquoi ne pas avoir cherché du travail dans ce secteur?

- Comme demandeur d’emploi, j’ai fait des centaines de postulations, mais rien ne s’est concrétisé. Un poste d’imam m’intéressait aussi, mais rares sont les institutions en Suisse à avoir les moyens d’engager des gens.

- La mosquée du Petit-Saconnex est dans la main des Saoudiens. Vous partagez les positions du wahhabisme?

- J’ai ma foi propre, je ne cherche à satisfaire ni un courant de pensée, ni une autorité en particulier. La Suisse et l’Europe ont forgé ma vision de l’islam, comme ma culture tunisienne. Je suis libre d’esprit et ne vais pas soutenir des positions à la demande. Ce n’est d’ailleurs pas ce qui m’a été signifié lors du recrutement et cela ne figure pas dans mon contrat de travail.

- Vos deux nouveaux collègues imams sont fichés S pour radicalisation par les services de renseignements français, tout comme le responsable de la sécurité. Cela vous inquiète?

- Je l’ai lu mais je ne sais pas exactement ce que cela veut dire. Nous n’avons pas non plus évoqué ceci avec le directeur. En revanche, nous avons parlé de la lutte contre la radicalisation des jeunes. J’ai donné des cours dans mon canton et j’ai été frappé par leur manque d’esprit critique face à ce qu’ils lisent sur la Toile. Les laisser s’exprimer et argumenter sera une partie de mon travail. J’espère ainsi apporter ma contribution pour lutter contre ce fléau.

- Vous avez étudié à Khartoum chez les Frères musulmans. Vous reconnaissez-vous dans cet islam rigoriste?

- Je suis un homme libre, il peut m’arriver d’être d’accord avec eux, d’autres fois non. J’ai étudié différentes pensées et mes convictions ne coïncident pas en tout point à une doctrine ou à une autre.

- Vous êtes membre du conseil de la fondation Wakef à Prilly, dont le but est notamment de construire, acheter et assainir des lieux de culte musulmans en Suisse. Selon la presse alémanique, cette fondation, qui comptait Hani Ramadan parmi ses membres jusqu’en 2013, est dans le radar des autorités fédérales de surveillance. Cela vous pose-t-il un problème?

- Je ne le savais pas. J’ai accepté d’aider sur des questions juridiques, mais j’ai décidé de quitter ce mandat, faute de temps. Je connais Hani Ramadan parce que notre association à Neuchâtel l’a invité pour des conférences. J’y ai assisté deux ou trois fois, il a un discours ordinaire et appelle les jeunes à s’intégrer dans la société.

- Quel lien l’association où vous avez œuvré à Neuchâtel entretient-elle avec l’Institut Européen des Sciences Humaines Château-Chinon, fondée par les Frères Musulmans de France et très rigoriste?

- Nous avons invité deux fois des intervenants, lesquels ont eu un discours intégrateur. Je ne suis pas sensible aux étiquettes mais aux personnes. Si elles partagent le même objectif que moi, à savoir l’intégration et le respect des valeurs de notre pays, pour la paix et la sécurité, alors elles sont les bienvenues.