Parole d’expert: «Il faut être prudent avec la preuve ADN»
Justice
Un généticien forensique a examiné plus d’une centaine de traces dans l’affaire du meurtre de la petite Semhar. Il explique la complexité de l’exercice au procès de Genève

«Je pense qu’il faut être prudent avec l’interprétation des traces. Il est important de ne pas surévaluer la preuve ADN.» Parole d’expert. Le généticien forensique Christian Gehrig, entendu par le Tribunal criminel de Genève, a longuement détaillé les subtilités des analyses pratiquées dans l’affaire du viol et du meurtre de la petite Semhar. Le vertige est garanti.
Dans un dossier criminel aussi grave et aussi disputé, la recherche d’éléments revêt une importance fondamentale et celle de l’ADN garde une place de choix. A la défense, Me Yaël Hayat n’a pas manqué de brandir une thèse lausannoise qui rappelle les dangers d’une interprétation erronée des résultats. Cette étude souligne que la mauvaise administration de preuves scientifiques a été la cause d’erreur judiciaire dans 52% des cas, ce qui correspond à la deuxième cause la plus fréquente après l’identification erronée par des témoins visuels.
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Un danger que ne sous-estime pas Christian Gehrig. Ce d’autant plus que Kaleb, selon son prénom d’emprunt, était le compagnon de la mère de la victime et se trouvait très souvent à l’appartement. «Si l’on avait identifié un suspect totalement étranger à la famille à travers la base de données, cela aurait été autre chose. Ici, l’ADN a pu être déposé de manière fortuite ou alors en lien avec le crime.»
«C’est compliqué»
Une chose aura mis tout le monde d’accord. «L’ADN, c’est compliqué.» Même en simplifiant à l’extrême. En résumé, la seule trace contenant un profil génétique complet correspondant à celui du prévenu a été retrouvée dans son taxi. Dans l’appartement et sur le corps de la victime, il s’agit d’ADN du chromosome Y qui s’étend aux personnes apparentées. Lorsqu’un tel profil comporte un nombre de marqueurs limité, cela réduit encore la valeur probante du lien. Impossible également de dire comment et quand l’ADN en question s’est déposé à un endroit précis. Cela peut être par contact ou transfert. «Quand on touche quelque chose, on dépose des traces et on en reprend», a rappelé l’expert.
La trace la plus compromettante pour Kaleb – non mélangée avec d’autres profils – a été retrouvée sur l’intérieur du slip de la victime. Le matériel prélevé sous les ongles de la petite Semhar (où il est mieux protégé) ramène aussi au prévenu. «Pour laisser une telle trace, il faut plus qu’un contact usuel comme se serrer la main.» Et l’expert d’ajouter que l’ADN présent sur le corps indique logiquement un contact récent, car il s’efface plus vite sous l’effet du lavage. Il y avait nombre de profils mélangés sur le cou, la hanche ou encore les poignets de l’enfant. Mais aucun ADN n’a été retrouvé sur ses organes génitaux malgré les lésions.
«Le loup dans la bergerie»
Si les indices sont plutôt faibles, les ravages causés par le crime sont puissants. La psychiatre, qui traite la maman depuis les faits, évoque un état de choc et tous les symptômes d’un stress post-traumatique. Incapable de reprendre son travail, celle-ci survit, mais comme si elle avait été amputée. La mère de Semhar, représentée par Me Robert Assaël, se sent également coupable de ne pas avoir été là et surtout d’avoir fait entrer cet homme dans sa vie. «C’est comme si elle avait fait entrer le loup dans la bergerie.» Pire encore, elle était tombée amoureuse de lui, car elle le trouvait gentil avec ses enfants.
Depuis ce drame, la maman est habitée par l’anxiété. Quant au père, il est envahi par la tristesse. Son thérapeute le décrit comme un homme très réservé, qui garde les choses pour lui et fait confiance à la justice. Les derniers témoins, notamment les médecins légistes, seront entendus lundi.
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