«Après vingt-cinq ans comme chef de service, je sais ce qu’on peut faire ou ne pas faire dans un bloc.» Fidèle à sa rhétorique de grand ponte, Philippe Morel, fraîchement retraité de son poste de patron absolu de la chirurgie viscérale aux Hôpitaux universitaires de Genève, ne voit aucune raison de lui chercher querelle. Et surtout pas pour avoir fait venir le conseiller d’Etat Pierre Maudet en salle d’opération et avoir laissé ce dernier manipuler les commandes du robot durant l’intervention.

L’institution, qui a signalé les faits sur le plan administratif et pénal, n’a pas la même lecture de l’histoire. En résumé, il manquait le consentement éclairé de la patiente et tout visiteur, même ministre, ne doit en aucun cas toucher aux instruments.

Enquête interne

Parmi les affaires dont Genève a le secret, en voici une qui réunit un chirurgien de renommée mondiale et une figure de la politique cantonale, malmenée par d’autres ennuis judiciaires mais pas très prudente pour autant. Des profils qui ne sont sans doute pas étrangers à cette manière de prendre des libertés et de tout justifier au nom de la compétence et de la réussite.

La démarche controversée du professeur Morel, révélée lundi par la RTS et Radio Lac, a suscité un malaise suffisamment important pour qu’une «déclaration d’incident», soit un événement indésirable grave, remonte à la direction et donne lieu à une enquête interne.

«Pinces à l’intérieur du corps»

Tout commence il y a quelques mois lors d’une banale discussion. Pierre Maudet, très friand de ce qui touche à l’innovation et la haute technologie, fait part de son intérêt à Philippe Morel. Le professeur, qui est aussi camarade de parti, lui propose alors d’assister à une opération chirurgicale robotique.

La direction est avertie et donne son aval pour autant que la patiente soit dûment informée et totalement d’accord, conformément aux obligations déontologiques de la profession. Jusque-là, pas de problème. Selon Nicolas de Saussure, porte-parole des HUG, il arrive régulièrement que des visiteurs (étudiants, journalistes, chercheurs ou élus) soient admis au bloc. «Les personnes externes aux équipes médicales doivent toutefois se tenir éloignées du champ opératoire et ne doivent en aucun cas participer à un quelconque geste chirurgical», précise ce dernier.

Pourtant, ce 24 septembre, arrivé en compagnie de l’adjoint de Philippe Morel alors que la longue opération visant à retirer une tumeur a commencé, Pierre Maudet est invité à s’asseoir à la deuxième console et à manipuler les commandes du robot Da Vinci. Même si l’appareil n’a pas touché les tissus et les organes de la patiente, «les pinces étaient à l’intérieur du corps, entre la peau et les viscères», relève Nicolas de Saussure. L’opération s’est bien déroulée mais un problème survenu en pareille circonstance aurait pu avoir de lourdes conséquences pour l’hôpital.

Double problème

Au sein de l’équipe (il y avait trois autres chirurgiens en plus du patron), certains se sont étonnés de la visite et surtout du maniement de l’instrument. Alertée, la direction a sollicité une enquête interne. Le rapport, selon le porte-parole des HUG, «conclut que la patiente n’était pas informée et n’a donc pas donné son consentement à cette visite».

De plus, le fait de laisser des manettes aussi sensibles aux mains d’un tiers non formé pourrait constituer, selon l’annonce des HUG au parquet, un grave manquement aux normes de sécurité susceptible de contrevenir au Code pénal. Le Ministère public, qui a bien reçu le courrier des HUG, examinera tout cela sans précipitation. La Commission de surveillance des professions de la santé est également saisie.

«Livré en pâture»

Contacté, c’est un Philippe Morel «très affecté» qui dénonce «les affirmations mensongères et incomplètes» de la direction médicale des HUG. «L’attaque est vile. Je n’ai même pas été questionné et on me livre en pâture tout en me refusant la levée du secret de fonction, qui me permettrait de me défendre.» Le professeur assure que la famille de la patiente (elle-même ne parle pas le français) était informée de la présence du visiteur et même de son identité.

Quant à la manipulation des commandes, le chirurgien ajoute que cela se fait très régulièrement «dans le vide» et ne pose aucun problème de sécurité. «Il est grotesque d’imaginer que j’aurais pu prendre des risques», ajoute-t-il tout en rappelant les 5000 opérations pratiquées en quarante ans de métier. De son côté, Pierre Maudet fait savoir «que les éléments jugés problématiques ne sont absolument pas de son fait».


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