Genève
Alors que la direction du PLR genevois doit décider ce vendredi si une invitation à la démission sera adressée au conseiller d’Etat, des soupçons de manœuvres financières continuent d’alimenter le débat

Pierre Maudet aurait-il abusé de déductions fiscales ou encore omis de déclarer certains dons en sa faveur? La question agite les esprits depuis que les instances dirigeantes du PLR genevois ont appris que le conseiller d’Etat puisait dans les comptes d’une association de soutien pour payer sa contribution annuelle obligatoire de 10 000 francs tout en recevant en retour l’attestation destinée aux impôts. Gagnant sur tous les tableaux? La défense du ministre, qui refuse de s’exprimer sur des points précis, assure que «Monsieur Maudet s’est mis spontanément à la disposition de l’Administration fiscale cantonale pour clarifier et, si nécessaire, régulariser ce qui devrait l’être».
«Il est capable de tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît.» C’est en paraphrasant une célèbre réplique du film Les tontons flingueurs qu’un ponte du PLR genevois choisit désormais de dépeindre le conseiller d’Etat Pierre Maudet et sa manière de s’accrocher à son poste malgré la tempête. C’est dire l’ambiance qui règne au sein d’un parti ébranlé par les révélations touchant son ministre, miné par une guerre de clans qui va en s’aggravant et appelé à se réunir encore ce vendredi pour décider d’envoyer, de préaviser ou d’abandonner le message d’une démission souhaitée.
Déductions en question
Les détails apparus lors de la dernière séance houleuse du comité directeur du parti, faisant état de l’origine tortueuse des versements intervenus entre 2013 et 2018, font surgir quelques questions assez simples. Pierre Maudet a-t-il déduit dans ses déclarations fiscales successives, au moyen de l’attestation délivrée par son parti, le montant de la contribution de 10 000 francs payée en réalité par ses soutiens privés?
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Une autre interrogation de nature fiscale se rapporte au voyage d’Abu Dhabi et aux explications fournies à l’époque par le ministre. Ce dernier avait affirmé avoir versé 4000 francs à des Eglises afin, disait-il, de soulager en quelque sorte sa conscience après s’être vu offrir des vacances par un ami. On sait depuis lors que le cadeau était princier et son montant bien plus conséquent. Mais on ne sait toujours pas si le conseiller d’Etat a déduit cette contrepartie ecclésiastique de ses impôts, ce qui nuancerait encore plus toute éventuelle repentance.
Sous la loupe fiscale
Le ministre ne répondra pas à ces questions. Ses avocats, Mes Grégoire Mangeat et Fanny Margairaz, soulignent: «L’Administration fiscale cantonale examinera les faits et appréciera la situation en toute indépendance, Monsieur Maudet n’entend dès lors pas faire d’autres commentaires dans l’intervalle à ce sujet.» La défense précise en outre que le conseiller d’Etat a entrepris cette démarche de transparence fiscale «à la suite de l’affaire des notes de frais de la Ville, en incluant la question des déductions liées aux contributions de mandat».
Impossible d’en savoir plus du côté des autorités concernées. «D’une manière générale et comme cela s’applique à l’ensemble des contribuables, l’Administration fiscale cantonale effectue son travail lorsqu’elle prend connaissance d’informations en lien avec son domaine de compétence. Cela étant, en raison des dispositions relatives au secret fiscal, l’AFC ne peut se prononcer sur des cas particuliers», précise Philippe Dunant, secrétaire général adjoint au Département des finances.
Quant à d'éventuelles conséquences pénales, Philippe Dunant ajoute: «De façon générale, l’AFC dénonce des faits au Ministère public lorsqu’ils sont constitutifs d’une infraction au sens de l’article 79 de la loi sur la procédure fiscale.» Cet article vise l’usage de documents faux ou inexacts dans le dessein de tromper le fisc afin d’obtenir une soustraction d’impôt.
Un fidèle lieutenant
Retour au politique. Durant la même séance, comme le révélait mercredi la Tribune de Genève, les instances dirigeantes du parti ont aussi appris que l’argent de cette association de soutien prenait parfois des chemins détournés avant d’arriver sur les comptes du PLR sous forme de cotisations ou sur ceux de Pierre Maudet lui-même lorsqu’il s’est agi de solder les 50 000 francs restants avant la dissolution de l’entité concernée.
Le trésorier de l’association, qui a œuvré à ces mouvements comptables et qui a pris soin de fractionner des sommes pour faciliter certains versements en espèces, est un proche du magistrat. Ancien conseiller municipal radical, il a occupé un poste de chef de service au sein du Département de la sécurité dirigé par Pierre Maudet et vient d’être nommé directeur du contrôle interne de ce même dicastère. Contacté, ce haut fonctionnaire, très affecté par un deuil, n’a pas été en mesure de s’exprimer.
«Suicide collectif»
Jamais aussi pugnace que dans l’adversité, Pierre Maudet a visiblement décidé de mener la vie dure à ceux qui espèrent le pousser à la démission. «On est dans le suicide collectif», fait remarquer un membre du PLR en évoquant l’assemblée générale requise par les fidèles du ministre pour influencer, freiner, voire combattre par la suite la décision qui sera prise ce vendredi par le comité directeur.
Habile stratège, Pierre Maudet sait sans doute ce qu’il peut attendre de pareille arène. Mais un risque existe toujours. Si d’aventure l’assemblée générale, cette instance suprême, lui demande elle aussi de prendre ses responsabilités, selon la formule consacrée, ce sera beaucoup plus délicat de l’ignorer.
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