Genève
Le ministre démissionne et se présente comme candidat à sa propre succession. La veille, le Conseil d’Etat lui avait retiré les clés de son département, suite à un rapport intermédiaire faisant état de graves problèmes managériaux

Cette fois, la coupe est pleine. Si deux ans de combat judiciaire et politique n’auront pas réussi à terrasser le ministre genevois Pierre Maudet, une mesure du Conseil d’Etat le privant provisoirement de son département y est parvenue. Jeudi, c’est un Pierre Maudet qu’on sentait étrangement calme qui a annoncé sa démission. Et sa volonté de se présenter comme candidat à sa propre succession.
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«Un nouvel épisode décisif»
Durant deux longues années, l’affaire Maudet a empoisonné la République. A chaque nouvel épisode judiciaire ou politique, le dernier en date étant son éviction du PLR, le ministre tenait bon, affichant une capacité de résistance hors du commun dans une chute pourtant inéluctable. Ni la division et les défaites électorales de son parti ni les problèmes institutionnels que posait son cas ne l’empêchaient de s’accrocher. Jusqu’à ce mercredi, où ses collègues l’ont privé de travail devant un rapport intermédiaire accablant sur ses méthodes managériales.
Un nouvel épisode décisif qu’il décrit comme une «exécution politique cousue de fil blanc». Difficile de croire pourtant qu’en pleine crise, le gouvernement genevois n’ait rien eu de mieux à faire que d’ourdir un complot. Même s’il faut relever le caractère humiliant qui prévalait ce jour-là, où six ministres sont venus annoncer la mise en quarantaine politique de leur collègue.
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Cela aurait suffi à beaucoup pour démissionner, mais plus grand monde n’attendait cela de Pierre Maudet. Il assure pourtant que le déclencheur de sa démission est ailleurs: «Dans cette période où l’on sous-estime la crise économique et sociale, on ne peut pas se permettre le flou institutionnel.» Un souci qui ne l’avait pourtant pas taraudé durant les deux ans où l’affaire pourrissait la République. Il déplore aussi «l’esprit qui a conduit à mon éviction et qui viole la Constitution et rompt les équilibres précaires. J’en ai avalé des couleuvres, mais là, ça touche à la démocratie.» Référence ici à l’affaire Jean-Charles Legrix qui avait secoué le canton de Neuchâtel en son temps.
Cet UDC de La Chaux-de-Fonds avait été mis à l’écart par l’exécutif de sa ville pour une affaire de harcèlement envers ses collaborateurs. Or le Tribunal cantonal neuchâtelois avait donné tort à l’exécutif, arguant qu’on ne pouvait pas vider de son sens les raisons pour lesquelles il avait été élu. Le Tribunal fédéral n’avait pas tranché, car entre-temps, l’élu avait obtenu un autre département. Si Pierre Maudet s’était accroché, Genève aurait pu jouer un remake de l’affaire Legrix. Cela au moins lui sera épargné.
«Sans portefeuille mais en campagne»
Fin de partie? Pas sûr. Car la démission de Pierre Maudet prendra effet au moment de la prestation de serment de son successeur, début mars 2021. Ce qui équivaut à dire qu’il reste en poste d’ici là, sans portefeuille mais en campagne. C’est d’ailleurs déjà dans cet esprit qu’il évoque les efforts consentis pour une économie à la peine, comme l’exonération des loyers ou l’attribution des RHT, et insiste sur l’engagement qui l’anime depuis le début de cette crise. Et déjà, il se projette: «Ce qui m’intéresse désormais, c’est de faire valider par les urnes le projet que je défends. Investir, engager de l’argent dans tous les secteurs économiques en souffrance.»
Et dans l’intervalle, que fera le roi nu? «Je vais continuer à aller à la rencontre des Genevois et répercuter leurs préoccupations à la tour d’ivoire de la Vieille-Ville. Ça tombe bien, puisqu’on m’a mis à la Jonction.» Référence à son bureau exilé dans ce quartier.
La présidente du Conseil d’Etat réagit sobrement: «Le Conseil d’Etat prend acte de la démission de Pierre Maudet. Une élection complémentaire aura le mérite de clarifier les choses.» Président du PLR genevois, Bertrand Reich voit dans cette annonce de départ une nouvelle manœuvre: «Sa démission apaise les tensions à court terme, mais ne règle rien sur le fond. S’il avait vraiment voulu clarifier les choses, il aurait démissionné avec effet immédiat. C’est un énième rebondissement dans une affaire interminable qui démontre la capacité de Pierre Maudet à pousser les institutions dans leurs derniers retranchements. Je perçois sa démission comme une démarche désespérée qui pourrait relever d’une forme de revanche.» Quoi qu’il en soit, le PLR devra se lever tôt s’il veut conserver son deuxième siège lors des élections complémentaires. Une séance de crise est d’ores et déjà prévue vendredi matin.
«Une forme d’acharnement, de règlement de comptes»
Ce d’autant qu’au PLR, divisé sur l’affaire Maudet, cette démission n’apaisera peut-être pas autant qu’espéré. «Je n’en reviens pas, réagit Natacha Buffet-Desfayes, députée. A la conférence de presse du Conseil d’Etat, il y avait une forme d’acharnement, de règlement de comptes dans cette mise en scène à six contre un. J’ai trouvé la méthode violente et abusive. Au final, c’est un mal pour un bien, car cela permettra à Pierre Maudet d’obtenir enfin la réponse qu’il attend: est-il encore soutenu par le peuple?»
Au PS, le coprésident, Romain de Sainte Marie, veut déjà y répondre: «La gauche doit regagner une majorité au Conseil d’Etat. L’échec de Pierre Maudet, c’est aussi l’échec de la droite.» Il salue la démission de Pierre Maudet: «Une décision sage et responsable. Depuis deux ans, le Conseil d’Etat s’enfonçait dans une situation chaotique qui ne pouvait plus durer.»
Pour le principal intéressé, manifestement, non plus. Si le combattant Maudet n’a pas déposé les armes, on sent toutefois une pointe de sensibilité nouvelle: «Le magistrat qui se présente devant vous aujourd’hui est aussi quelqu’un qui revient aux fondamentaux, qui a fendu la cuirasse. Ce sera peut-être son dernier combat. Aller chercher dans ses tripes l’énergie de rebondir.»