La messagerie de Pierre Maudet n’est pas encore accessible aux procureurs. Le ministre, prévenu d’acceptation d’un avantage en lien avec son voyage à Abu Dhabi, s’est opposé au séquestre de ses échanges électroniques, entraînant ainsi leur mise sous scellés, a appris Le Temps. Un accord vient d’être trouvé ce mardi afin de permettre à l’enquête d’avancer tout en prévoyant certains garde-fous en cas de conflit avec le parquet sur le tri des pièces.

Contrairement au Conseil d’Etat, qui a renoncé à l’option des scellés et fait le choix de la transparence, Pierre Maudet a bloqué la remise et opté pour le filtre préalable d’un juge. Une fois cette opposition annoncée, le Code de procédure pénale laissait au procureur un délai de vingt jours pour engager une procédure de levée des scellés. C’est désormais chose faite, car le Ministère public avait jusqu’au 1er octobre pour saisir le Tribunal des mesures de contrainte (TMC). A défaut, les documents concernés auraient dû être restitués au ministre sans être examinés, ni exploités.

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Tâche colossale

La masse des informations, soit trois années de courriers électroniques, devait donc passer en mains du tribunal pour un tri. Le juge a pour mission d’évaluer l’utilité potentielle des pièces pour la procédure, d’écarter le reste des documents et de relever le caractère secret de certaines correspondances. De quoi rallonger considérablement la durée de toute investigation. La tâche est colossale et les problèmes techniques nombreux. La loi fixe un délai indicatif de trente jours pour trancher, mais la réalité est qu’aucune procédure d’une certaine importance n’aboutit avant plusieurs mois.

Une solution de dernière minute a été trouvée par les parties. Celle-ci évite au ministre de donner l’impression de vouloir cacher des choses et de ralentir l’enquête. «La procédure de levée de scellés est suspendue aujourd’hui d’un commun accord. Le Ministère public ne sera aucunement retardé dans l’examen des pièces qui l’intéressent. L’enquête peut donc avancer, ce qui correspond au souhait déjà exprimé du conseiller d’Etat Pierre Maudet», précisent Mes Grégoire Mangeat et Fanny Margairaz, ses avocats.

Visions divergentes

Comme révélé dans notre édition du 26 septembre, le gouvernement a accepté le principe d’une levée du secret de fonction pour l’ancien président François Longchamp et toute autre personne disposant d’informations utiles afin que le parquet puisse les entendre comme témoins.

Le Conseil d’Etat a également autorisé l’accès à la messagerie de son ministre en difficulté et à celles de certains chefs de service, moyennant un droit de regard sur les contenus, parfois sensibles, qui seront versés au dossier. Antonio Hodgers, nouveau président, expliquait dans nos colonnes avoir «décidé de collaborer pleinement» afin de faire toute la lumière sur cette affaire. Contacté à propos de la stratégie contraire de Pierre Maudet et la procédure des scellés, le Vert préfère «ne pas commenter la suite du volet judiciaire».

Réticences

De son côté, Patrick Baud-Lavigne, l’ancien chef de cabinet également prévenu, ne s’est pas opposé à la remise de son matériel informatique. L’intéressé ne travaille plus au sein de l’Etat depuis début juillet. Les échanges de l’ancien chef de cabinet sont donc déjà exploitables par le Ministère public. L’avocat de l’ex-bras droit, Me Jean-Marc Carnicé, souligne «vouloir totalement coopérer avec la justice».

L’ampleur de l’intrusion et la confidentialité de certains échanges ont visiblement suscité davantage de réticences du côté de la défense de Pierre Maudet. Les avocats du ministre soulignent à ce propos que «l’immense majorité des e-mails visés n’a aucun lien avec les faits sous enquête. Il fallait donc que des critères de tri puissent être arrêtés. C’est à cette fin qu’un juge indépendant a été saisi.»

La défense ajoute que la méthodologie mise en place aujourd’hui avec le parquet «permet de garantir le respect du principe de proportionnalité». Et d’éviter au juge un travail considérable.

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