«C’est un pitbull qui ne lâche pas prise»
Pierre Maudet ne dira pas que la sécurité ne l’intéresse plus, mais qu’il a fait un peu le tour de la question. Tel un boulet, un dossier proche ne cesse toutefois de se rappeler à lui. C’est celui de la réforme de la police. Présentée comme le fleuron de sa législature, adoptée de justesse par le peuple, cette réorganisation de l’institution divise toujours autant. Ana Roch, présidente du MCG et candidate à l’élection au Conseil d’Etat, estime que le ministre doit entendre les critiques: «Nous continuons à soutenir que cette loi est un échec, les faits nous donnent raison. Pierre Maudet est un bosseur qui n’a pas peur de la tâche et qui connaît bien ses dossiers. Mais c’est aussi un pitbull qui ne lâche pas prise. Dans cette dynamique, son point faible est de penser qu’il est forcément dans le juste.»
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Le manque d’écoute est un reproche qui commence à faire son chemin. «La loi n’a pas d’effet magique. Il y a des choses à ajuster et je n’en fais pas une question d’orgueil. D’ailleurs, j’ai déjà tendu la main aux syndicats de police pour en aménager les conséquences», tempère le magistrat. Dans cette réorganisation controversée, il ne voit «pas d’erreur majeure mais un gros besoin de discuter». Pierre Maudet rappelle aussi qu’il a déjà su lâcher du lest, après coup, dans des dossiers chauds. Celui des taxis, par exemple, lorsqu’il a appuyé la levée de l’interdiction d’utiliser les voies de bus.
Le goût de l’obstacle
Très prolifique en matière de projets de loi, ce conseiller d’Etat a-t-il privilégié un bilan au nombre? C’est un constat que fait le député démocrate-chrétien Vincent Maitre: «Pierre Maudet fonctionne au «tableau de chasse». La quantité a parfois pris le pas sur la qualité. Chaque paquet donne l’impression d’être bien ficelé mais la réalisation a révélé dans certains cas des défauts cachés.» Par exemple, la loi sur la restauration et les débits de boissons «qui engendre une surcharge administrative excessive» ou celle sur les taxis «qui reconnaît la légitimité des diffuseurs de course mais renforce aussi le monopole des jaunes». Le ministre ne nie pas des imperfections mais rejette toute frénésie de réforme, notamment dans ce domaine de la police du commerce. «L’Etat doit suivre les évolutions et ne pas se laisser dicter le tempo par l’économie», explique-t-il.
Le fait est que Pierre Maudet aime les dossiers complexes et les alliances improbables. Comme il dit, les obstacles le stimulent. Il ne baisse pas les armes facilement mais entend tout de même modifier quelque peu la manière, ménager ses forces et tirer les leçons du passé. «J’ai apprécié la situation et je ne referais plus le même combat sur la privatisation du convoyage des détenus, d’autant plus que les autres objectifs de la loi ont été atteints.» Ce dossier houleux – toute externalisation des tâches de convoyage a finalement été bannie par le parlement – lui a valu beaucoup de critiques et une réputation de grand roublard. Désormais, il préfère renoncer au combat retardateur (la métaphore est militaire) qui consiste à miner le terrain pour l’adversaire. Avec un constat: «Ce type de manœuvre dilatoire nuit à la politique.»
La malédiction du scorpion
Que ses admirateurs se rassurent. Pierre Maudet ne s’est pas encore complètement métamorphosé. Il reste cet habile stratège qui arrive à faire aboutir un projet délicat comme Papyrus afin de régulariser une catégorie de sans-papiers, lutter contre le travail au noir, neutraliser par la même occasion ceux qui le combattent sur la question des renvois et soigner son profil humaniste. Il est encore ce communicateur hors pair qui arrive à faire passer l’issue d’une négociation avec les syndicats de la police comme un «accord historique» alors que l’Etat a cédé sur l’essentiel. Il demeure enfin cet adepte du contrôle qui, après s’être affranchi de la délicate prérogative consistant à décider des allégements de peine pour des condamnés dangereux, continue de lire chaque mois par-dessus l’épaule de ses services afin de vérifier si un double regard a bien été porté sur chaque situation et voir où se situent les divergences.
De ce conseiller d’Etat, le député socialiste Cyril Mizrahi dit «qu’il exige une fidélité hors norme de ses collaborateurs». Pierre Maudet l’admet. Se sentir trahi lui est insupportable. L’ancienne directrice du service d’application des peines et mesures et l’ex-numéro deux de la police ont fait les frais de cette intransigeance. Si cela ne tenait qu’à lui, le magistrat les aurait révoqués tous les deux pour avoir, à ses yeux, omis de lui remonter toutes les informations. Le Conseil d’Etat a temporisé la sanction et la justice administrative les a finalement blanchis de toute faute. Un désaveu encore difficile à accepter. Ce d’autant plus qu’il passe désormais pour un patron qui fait sauter des fusibles. Ou alors pour le scorpion de la fable qui, après être monté sur le dos de la grenouille pour traverser la rivière, ne peut s’empêcher de la piquer au milieu des flots, quitte à couler avec elle.
Une posture inédite
Durant cette campagne, les attaques sont essentiellement venues d’Ensemble à gauche. Jocelyne Haller, députée et candidate au Conseil d’Etat, critique deux aspects du bilan: «Sur le plan économique, Pierre Maudet a privilégié les grandes entreprises au détriment d’un effort plus important de régulation et de développement du marché du travail. Sa politique du tout sécuritaire a envahi l’espace public et son application très restrictive de la loi sur les manifestations exacerbe les tensions.» Un tour de vis assumé. «L’approche laxiste est dépassée», relève le magistrat.
Visiblement, l’échéance électorale colonise désormais moins l’esprit et l’agenda de Pierre Maudet. «Je suis serein», confie-t-il. C’est assez logique, sachant qu’il caracole en tête des intentions de vote et n’a que son propre record de voix à battre. Mais c’est aussi une posture assez inédite pour ce pur-sang de la politique. L’âge de raison, peut-être.
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