Genève
Une audience a eu lieu mardi matin pour étudier la demande de droit de réponse à un article du «Tages-Anzeiger» que le conseiller d’Etat genevois réclame. Le jugement sera rendu d’ici à deux mois

Une confrontation rapide et sobre. Mardi matin, Pierre Maudet et les représentants de Tamedia avaient rendez-vous au Palais de justice. Le conseiller d’Etat genevois, prévenu dans l’affaire de son voyage à Abu Dhabi, estime qu’un article du journaliste Philippe Reichen, publié en novembre dernier dans le Tages-Anzeiger, porte atteinte à sa personnalité. Il exige un droit de réponse. Les deux parties n’ayant pas réussi à s’entendre, c’est donc devant un petit public issu de la presse romande et alémanique que les conseils ont prononcé leurs plaidoiries respectives. Aucune question n’a été posée par le juge qui rendra son verdict au plus tard d’ici deux mois.
Intitulé «La critique de Maudet doit garder le silence», l’article rédigé par le correspondant romand du quotidien zurichois Tages-Anzeiger, Philippe Reichen, revient sur la polémique qui entoure Laetitia Guinand, journaliste à la RTS alors en congé maladie, après ses révélations sur le voyage controversé de Pierre Maudet. Il y relaie les pressions dont elle semble avoir fait l’objet après avoir eu le «courage» d’enquêter avec «persévérance» et déplore le «silence durable et inexplicable» qui s’en est suivi.
«Image défavorable»
«Un article loin d’être isolé, mais qui s’inscrit au contraire dans une constellation de publications», souligne l’avocat de Pierre Maudet, Me Laurent Fischer. «Mon mandant estime que celui-ci véhicule une image particulièrement défavorable en laissant croire qu’il a exercé des pressions pour museler une journaliste. Des accusations totalement erronées.» A ses yeux, l’éditeur zurichois Tamedia fait preuve d’un «formalisme excessif», voire d’une «mauvaise foi crasse» en refusant le droit de réponse demandé. Dans le cas où le juge souhaiterait amender le texte, l’avocat précise que Pierre Maudet est «ouvert à des modifications».
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«Mon mandant demande qu’on agisse avec lui comme avec n’importe quelle autre personne, insiste encore Laurent Fischer. Or, ni Laetitia Guinand ni Philippe Reichen n’ont pris le temps de le contacter avant d’écrire leurs articles, ce qui constitue une violation des règles déontologiques.» L’avocat en veut pour preuve un e-mail du rédacteur en chef de l’actualité radio à la RTS, Laurent Caspary, dans lequel ce dernier reconnaît que la journaliste a commis une «erreur claire».
Aucun avertissement reçu
Présent à l’audience, l’avocat de Laetitia Guinand, Me Romain Jordan, précise pour sa part que sa cliente, qui travaille aujourd’hui pour l’émission Temps présent, n’a «jamais été sanctionnée ni reçu une quelconque remarque ou avertissement quant à son activité journalistique, au contraire unanimement louée. On parle d’affaire dans l’affaire, c’est faux!» Laetitia Guinand n’a par ailleurs jamais eu connaissance des échanges entre Pierre Maudet et sa hiérarchie et déplore ces «accusations infondées».
«Conditions légales non remplies»
«Il ne s’agit pas ici de faire le procès de Laetitia Guinand, ni celui de la RTS», a déclaré en préambule Me Kevin Guillet, avocat mandaté par l’éditeur Tamedia, qui se concentre sur un argumentaire de forme. A ses yeux, la demande de droit de réponse de Pierre Maudet doit être rejetée tout simplement parce qu’elle ne remplit pas les «conditions légales d’application».
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«Pour qu’un droit de réponse soit validé, la personne plaignante doit être touchée dans sa personnalité, rappelle Kevin Guillet. Or l’article en question n’est pas centré sur Pierre Maudet mais sur les difficultés rencontrées par les journalistes dans l’exercice de leur métier. Par ailleurs, l’article ne fait pas mention de pressions mais d’une intervention d’un proche de Pierre Maudet auprès de la RTS.»
Droit de réponse ou «tribune»?
Selon Tamedia, la réponse de Pierre Maudet viole le principe de «fait contre fait». Elle contient des «insinuations», des «jugements de valeur» et des «critiques potentiellement attentatoires à la personnalité de Laetitia Guinand». «Accepter ce texte serait offrir une tribune à Pierre Maudet, qui semble vouloir régler ses comptes avec la presse romande, la RTS et Laetitia Guinand», conclut Kevin Guillet.
«24 heures» censuré pendant deux jours
Absurde mais vrai: le quotidien 24 heures, respectant une décision du Tribunal de l’Est vaudois, s’est trouvé dans l’impossibilité d’informer ses lecteurs que la conseillère d’Etat Jacqueline de Quattro demandait l’interdiction du pamphlet que Fabien Dunand lui a consacré. C’est pourtant le quotidien vaudois qui avait publié dans ses pages une publicité pour le livre ainsi qu’une interview de son auteur.
Tandis que 24 heures était condamné au silence et retirait l’interview de son site internet, le reste de la presse, dont Le Temps, ont informé sur la censure réclamée par la ministre vaudoise. Saisie par Tamedia, éditeur de 24 heures, la justice a limité deux jours plus tard la portée des mesures superprovisionnelles à la publicité pour le livre, tandis que la liberté rédactionnelle était restaurée par ailleurs. Jacqueline de Quattro demande l’interdiction d’un ouvrage qui ne contient aucune information nouvelle, mais exploite systématiquement dans un but de dénigrement tous les éléments connus. LT
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