La force de conviction
Il ne faut pas bien longtemps pour comprendre que rien ne prédestinait le jeune garçon à devenir avocat. Il aurait aimé suivre les traces de son ancêtre maternel, l’égyptologue Edouard Naville, dont il a hérité le goût des choses rares, et partir fouiller le passé. De son père, l’ancien conseiller national libéral Jacques-Simon Eggly, il retient l’indépendance d’esprit mais ne partage pas l’amour de la politique. Les études de droit seront donc la voie de la raison. Il hésite même à devenir avocat mais le grand Michel Halpérin, à l’étude duquel il travaille comme archiviste-bibliothécaire entre deux examens, le pousse et le prend comme stagiaire.
Comme avocat, on entre dans la vie des gens, quelle que soit la procédure
Pierre-Damien Eggly, avocat
Vite responsabilisé alors que son maître de stage s’investit beaucoup dans la politique cantonale, il se rappelle cette grosse frayeur d’avoir réalisé soudain qu’il manquait sa signature au mémoire d’appel déposé aux Prud’hommes dans une affaire où un bonus de plusieurs millions de francs était en jeu. Après une course folle et la menace de se pendre au lampadaire de la rue, il réussit à faire abdiquer la greffière et sauve le coup. La force de conviction, déjà.
L’appel inattendu
Le brevet en poche, Pierre-Damien Eggly cherche encore sa voie et entre dans la banque privée. Chez Lombard Odier. Durant plus d’une année, il fait le tour des filiales offshore et enfile le bermuda tout en se familiarisant avec la gestion de fortune et les diverses structures financières. A peine revenu au siège genevois, un appel inattendu et encore inexpliqué va changer le cours de sa vie. Au bout du fil, Marc Bonnant lui propose une place de collaborateur. L’émotion digérée, devinant l’intensité du travail qui l’attend, il réfléchit mais pas longtemps. «J’ai dit oui et je n’ai aucun regret.»
Le maître lui enseigne le goût de l’effort et le courage de déplaire. Durant six ans, le jeune avocat voit passer les affaires les plus sensibles de la République et d’ailleurs. Les moments intenses sont nombreux. Celui où il entend un financier de la place avouer finalement au procureur le plan fomenté pour assassiner sa femme. Celui encore où il se trouve assis au côté de l’homme d’affaires franco-israélien Arcadi Gaydamak, dans un taxi qui fonce à l’aéroport alors qu’une demande d’extradition pointe son nez. «En raison du brouillard, le jet privé tardait à décoller.»
La quête d’indépendance
Après six ans, convaincu que ce métier ne peut s’exercer qu’en totale indépendance, il va s’affranchir de son mentor et, dit-il, le quitter pour mieux voler. Il restera disciple mais rejoint l’étude RVMH, où il se sent comme un poisson dans l’eau. Les cols blancs constituent toujours l’essentiel de ses dossiers. Ceux-ci passent rarement par Champ-Dollon et se retrouvent peu souvent devant le juge pénal. Mais mieux vaut un bon accord qu’un mauvais procès, disait Dominique Poncet. Pierre-Damien Eggly partage ce credo même s’il regrette de ne pas plaider plus souvent. Il a d’ailleurs eu le privilège de connaître le jury populaire de l’intérieur pour avoir été tiré au sort en 2009 alors qu’il travaillait encore à la banque. Une institution qui disparaîtra deux ans plus tard au grand dam de ceux qui portent la robe.
C’est donc devant le juge civil qu’il exerce ses talents d’orateur. Cela se fait sans battage médiatique et loin des prétoires électrisés. Une sobriété qui lui convient d’ailleurs assez bien. «L’exercice du métier m’a fait l’aimer», explique celui qui se sent désormais pleinement avocat. Pas de ceux qui courent les marathons du droit mais qui privilégient une vision pragmatique. Egalement constitué dans des affaires médicales, souvent douloureuses, il est surpris de voir à quel point les gens acceptent moins la fatalité. «Pourtant, elle existe.»
Un spéléologue de l’âme
La technicité des dossiers ne l’empêche pas de se définir aussi comme un spéléologue de l’âme humaine. «Comme avocat, on entre dans la vie des gens, quelle que soit la procédure», constate-t-il. Et il faut garder la capacité de s’émouvoir. Il se serait bien vu défendre un Jérôme Cahuzac ou tout autre notable qui chute de très haut. «Les hommes se distinguent par ce qu’ils montrent et se ressemblent par ce qu’ils cachent», rappelle-t-il en citant Paul Valéry.
Sur son bureau, un livre pour enfant. Il est dédicacé par un ancien cadre félon de Ralph Lauren pour lequel il avait réussi à négocier une peine défiant toute concurrence. Heureusement, il existe des consolations dans l’océan d’agressivité du combat judiciaire.
Profil
1981 Naissance à Genève.
2006 2e prix au Concours d’art oratoire Michel Nançoz et au Concours international d’éloquence de la francophonie.
2007 Brevet d’avocat.
2009 Entre comme collaborateur à l’étude du bâtonnier Marc Bonnant.
2015 Rejoint l’étude RVMH Avocats en qualité d’associé.