Genève
Le canton et la ville de Genève prolongent d’une période de 60 jours les infrastructures cyclistes placées durant le confinement. Premier bilan chiffré

D’abord un peu de politique politicienne. Dans l’élan de sa victoire pré-Covid, la gauche municipale genevoise a récemment bâillonné l’opposition de droite, en y mettant les formes démocratiques, pour imposer ses vues: demander au canton d’interdire la circulation motorisée autour de la Rade durant les week-ends d’été. Une lettre du conseil administratif va atterrir sur le bureau de Serge Dal Busco, maître cantonal des horloges sur les questions de mobilité. Freinons les élans des Guevara à bicyclette: la réponse du gouvernement sera négative. Interrogé, le ministre PDC classe en effet cette demande dans la catégorie de celles qui sont «de nature à faire perdurer les querelles». Il ajoute que «les réactions très exagérées et les propos outranciers» éructés à droite au lendemain du fameux élargissement des pistes cyclables relèvent du même critère. Les belliqueux sont renvoyés dos à dos.
Nous y voilà: on est dans le sprint final pour les mesures lancées en faveur des déplacements à vélo, présentées fin avril comme provisoires pour une durée de 60 jours. Rappelons que la crainte des autorités était que le déconfinement amène une baisse de la fréquentation des transports publics et une hausse du trafic automobile. Afin que le plus grand nombre troque son auto pour un vélo, l’idée était de créer des axes larges, donc rassurants, et continus sur 7 kilomètres. Des pistes sont apparues nuitamment, sans concertation autre qu’entre administrations municipale et cantonale. La chaussée n’étant pas extensible, cette générosité vélocipédique s’est faite au détriment des voies de circulation destinées au trafic motorisé. Tollé à droite, louanges à gauche.
Bilan «encourageant»
Pour le conseiller d’Etat chargé des Infrastructures, ce premier bilan est «encourageant» au point qu’il renouvelle le dispositif pour une deuxième période de 60 jours, en accord avec la Ville de Genève, qui finance les aménagements. Le magistrat s’appuie sur des données fournies par les capteurs, les GPS et le comptage humain. Le chiffre qui enorgueillit le PDC: 25 000 cyclistes ont été enregistrés aux heures de pointe sur ces pistes, en augmentation de 20% sur les trois dernières semaines. La part du vélo dans le trafic total atteint 28% sur l’avenue du Mail, 24% sur le quai du Mont-Blanc, 20% sur le quai Wilson, alors que cette part est de 15% en moyenne sur les axes aménagés pour les bicyclettes.
Ce point chiffré renforce une conviction que le magistrat a bien du mal à faire admettre aux adeptes de la voiture: ce ne sont pas les pistes cyclables élargies qui créent les bouchons persistants (en temps normal, la moyenne est de 5h30 d’immobilisme), mais bien l’habitude de prendre sa voiture pour des déplacements à l’intérieur du centre-ville. Un schéma lui sert de preuve: ces jours, les voitures qui remontent le boulevard Favon se distribuent à 30% sur la rue Voltaire (contre 54% habituellement), à 20% vers Cornavin (36%) et à 50% vers la rue de Chantepoulet (10%). Ces derniers conducteurs effectuent donc un passage éclair rive gauche-rive droite pour revenir sur la rive gauche.
Révoltant, disent Frédérique Perler, conseillère administrative de la ville de Genève chargée du Département de l’aménagement, des constructions et de la mobilité, et Serge Dal Busco. Quand ces habitudes changeront, la congestion commencera à disparaître et les déplacements professionnels pourront se faire à une vitesse plus acceptable, parient les deux élus.
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Sur un autre point, les ministres ne rendront rien à leurs adversaires. Alors que le TCS et le Groupement transports et économie insistent pour que le trafic cycliste soit dirigé vers des rues secondaires, Frédérique Perler et Serge Dal Busco tiennent mordicus au contraire. «Ce qui fonctionne, c’est d’offrir des voies rectilignes et directes aux cyclistes, assène la Verte. Leur imposer des détours, c’est s’assurer que le transfert vers le vélo ne se fera pas.»
Le boulevard Georges-Favon illustre bien le jusqu’au-boutisme assumé des deux responsables. Là, malgré les modifications apportées, les ingénieurs ne parviennent pas encore à résoudre la congestion. Hors de question cependant de faire rouler les vélos par le boulevard du Théâtre ou la rue de l’Arquebuse, pourtant strictement parallèles.
Le schéma prouvant l’attraction de la rue de Chantepoulet sert d’argument. Le boulevard Favon, ajoute Serge Dal Busco, n’est pas un axe structurant au sens de la loi sur une mobilité cohérente et équilibrée. Ce texte est le totem de l’élu PDC. Plébiscité dans les urnes par les Genevois, il définit les priorités par secteur afin que tous les modes de transport puissent s’ébrouer en harmonie dans le canton. Son application demande des modifications qui fâchent les milieux de l’automobile. Le 27 septembre, les Genevois sont appelés à se prononcer sur la disparition d’une tripotée de places de parking afin, notamment, de faciliter le passage des bus.
Feux modifiés
Plusieurs modifications ont été apportées au dispositif provisoire par les ingénieurs de la ville et du canton. Au bas de la rue du Mont-Blanc, une double voie pour voitures a été réinstallée. Les phases des feux rouges ont été repensés un peu partout pour introduire de la fluidité. Si bien que le temps de parcours calculé mi-juin sur le quai Wilson est revenu dans les proportions d'avant le confinement, et même un peu moins, après avoir presque sextuplé mi-mai, entre 9 heures et 9 heures 30.
Toutes les pistes ne seront pas reconduites à l’identique pour 60 jours. Selon les cas de figure, certaines seront soumises à autorisation, et donc à recours. D’autres, comme à la rue du 31-Décembre, seront abandonnées.
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Contre de nouveaux territoires offerts aux cyclistes, Serge Dal Busco attend en retour «un comportement plus civique» de leur part. Il a demandé au département concerné que plus de contrôles soient menés par la police.
Alors que 20% de l’activité se fait encore par télétravail, le trafic individuel motorisé est actuellement estimé à 97% d’une base de référence à 100. Autrement dit: à la rentrée de septembre, 20% de trafic supplémentaire risque de se déverser dans des rues genevoises déjà saturées.