Le port du masque, sujet de toutes les crispations à Genève
Coronavirus
Au bout du Léman, la polémique enfle autour du bien-fondé de cette mesure sanitaire. Des députés déposent un projet de loi pour que le parlement reprenne la main sur cette question

Qu’elle paraît loin, l’union sacrée de ce printemps entre population suisse et autorités, qui pourtant restreignaient drastiquement les libertés individuelles devant l’attaque en traître du Covid-19. Ces derniers jours donnent à penser que l’adhésion citoyenne autour des restrictions sanitaires se lézarde. Et c’est à la faveur d’un objet symbolique que se dessine la contestation: le masque facial, d’abord prétendu inutile alors qu’il était par ailleurs quasi indisponible, et dont l’usage se généralise aujourd’hui par voie d’arrêtés gouvernementaux.
A Genève, où le masque est obligatoire dans les transports publics, les commerces, les restaurants sauf lorsqu’on est à table et dans certains lieux publics clos, beaucoup s’interrogent. Au café du Commerce comme sur les réseaux sociaux. Naissent des groupes de discussions contre le port de cet accessoire sanitaire, arguant que son usage n’est pas maîtrisé par le commun des mortels, que son efficacité n’est pas prouvée, que la mesure est disproportionnée, qu’il est la porte ouverte à de nouvelles mesures liberticides. Des doutes légitimes qui fatalement ouvrent un boulevard aux complotistes, pour qui le masque représente désormais le nouvel ennemi numéro 1 du genre humain.
A l’autre extrémité, des citoyens moins sourcilleux quant au respect des libertés ou plus craintifs devant la pandémie souhaiteraient que son usage soit imposé partout. Qu’on soit pour ou qu’on soit contre, la tonalité du débat faire craindre les dérapages accusateurs: «J’observe une forme d’hystérie collective autour de la guerre contre le virus qui m’effraie, témoigne Jean Rossiaud, député vert au Grand Conseil. Même si la contestation semble augmenter un peu partout, il est difficile de débattre sereinement de cette question sous peine d’être traité de complotiste.»
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«Plus aucun contrôle parlementaire»
Le député socialiste Cyril Mizrahi s’y est essayé posément. Il a déposé un projet de loi renvoyé en urgence en commission ce jeudi. Celui-ci investit plusieurs directions chères à la gauche. Il réclame en premier lieu d’instaurer une base légale en cas de port obligatoire du masque dans la loi sur la santé: «Car notre gouvernement continue malheureusement à légiférer dans son coin, sans plus aucun contrôle parlementaire, en se basant sur une disposition très vague de la loi, explique-t-il. Cela pose problème au niveau de l’Etat de droit comme de la démocratie. Le parlement doit reprendre la main.»
Une critique que le ministre de la Santé, Mauro Poggia, rejette avec mordant: «Un gouvernement est là pour gouverner. Qu’aurait dit notre parlement si l’on avait attendu qu’il puisse à nouveau se réunir selon le droit fédéral pour prendre des décisions? Exactement le contraire de ce qu’il reproche aujourd’hui au Conseil d’Etat. Certains députés souhaiteraient, même en dehors de toute crise, que le gouvernement soit réduit au rôle de commis administratif du Grand Conseil. Ce n’est pas ce que veut notre démocratie, et je n’en suis pas désolé pour eux.»
Le projet de loi demande ensuite à ce que les masques soient gratuits dans les services publics, à les mettre à disposition de la population à prix coûtant, et enjoint aux entreprises de les offrir à leurs employés. Il prévoit aussi des exceptions à l’obligation d’en porter, face aux malentendants notamment. Enfin, il demande à l’Etat de limiter l’impact environnemental des masques jetables en les éliminant de la plus heureuse des façons et prévoit des amendes pour les contrevenants.
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«Donner des réponses crédibles»
Ce projet de loi a pour l’heure peu de soutiens à droite. Au PLR, on fait valoir qu’il ne faut pas graver la question du masque dans le marbre d’une loi de portée générale, sous peine de renforcer l’étatisme. Mais certains députés estiment que le parlement doit pouvoir contester des mesures contraignantes prises par le Conseil d’Etat. Il semble que la gauche ne pourra pas non plus compter sur l’appui du PDC. Pour autant, des députés de droite pointent aussi des incohérences: «La compréhension de la population s’érode, car les autorités fédérales et cantonales ont une attitude moins claire que pendant le confinement, estime Jean-Luc Forni, député PDC. Il faudrait qu’on nous explique par exemple pourquoi on autorise les manifestations alors qu’on oblige au masque.»
Député PLR, Cyril Aellen enfonce le clou, regrettant que le débat chavire dans l’outrance, comme s’il fallait être soit béni-oui-oui, soit complotiste: «Il faut donner des réponses crédibles aux gens, sinon on va les perdre. Par exemple, on ne va pas s’épargner la discussion autour du peu d’hospitalisations en regard de l’accroissement du nombre de cas.» L’élu propose par exemple de fixer un plafond référentiel qui déclencherait l’obligation de porter le masque, respectivement de la lever, et de mesurer l’impact de la mesure: «J’ai l’impression qu’on adopte une mesure aussitôt qu’elle paraît un peu efficace. C’est faire une recette de cuisine sans peser les ingrédients.»
«Nous sommes tous fatigués»
Si Mauro Poggia comprend «la lassitude à vivre dans l’exception, à laquelle s’ajoute l’écho que l’on donne de plus en plus à des scientifiques, parfois prétendus tels, qui assènent leurs doutes, sinon leur opposition», il table sur la pédagogie plutôt que la sanction. Non sans une pointe d’accablement: «Néanmoins, nous sommes tous fatigués, y compris d’expliquer, et nous souhaiterions que l’analyse objective des faits, ici et ailleurs, suffise à convaincre du bien-fondé de nos mesures.» Le temps, qui érode la patience, pourrait bien être son plus redoutable ennemi.