A l’heure de plaider l’acquittement de Beny Steinmetz devant la Cour d’appel, la défense du magnat des mines, incarnée par le seul Daniel Kinzer – Christian Lüscher ayant renoncé à prendre la parole –, mise sur une sorte de technicité pure et monocorde, tout en écartant le spectre de la corruption pour privilégier une forme de lobbyisme, voire un trafic d’influence, des pratiques qui ne sont pas punissables en Suisse. «Mais de qui se moque-t-on?» rétorquera le premier procureur Yves Bertossa en sortant l’auditoire de sa torpeur. Aux yeux de l’accusation, qui demande la confirmation du premier jugement, l’histoire racontée de l’autre côté de la barre n’est qu’une belle fable. «Ce n’est pas sérieux.»

D’entrée de cause et avant de couper les cheveux en mille, Me Kinzer demande à la cour d’oublier le «label» très sombre collé à cette affaire par d’autres autorités et surtout de s’écarter de la peine de 5 ans, véritable «saut dans l’infamie», qui a frappé son client en première instance. Dans «les interstices» des décisions déjà rendues (judiciaire ou arbitrale), l’avocat estime qu’il y a la place pour un regard neuf et forcément beaucoup plus nuancé.

«Pas de preuves»

L’accusation de faux dans les titres, basée sur le certificat d’actions d’une société créée pour brouiller les pistes des transferts d’argent? Elle ne tient pas la route pour de multiples raisons et il n’est de toute manière nullement avéré que Beny Steinmetz a donné des instructions pour monter cette éventuelle combine, analyse la défense. Sur le thème de la corruption – plat de résistance et véritable enjeu de ce dossier –, ce sera plus long et beaucoup plus compliqué.

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Pour tordre le cou à cette infraction, l’avocat s’en prend d’abord aux fils trop ténus, dit-il, qui fondent ici la compétence de la justice helvétique. «Etre simplement touché de près ou de loin ne suffit pas pour ancrer cette compétence.» Et si d’aventure la cour estime pouvoir juger les faits, la défense assure que la cession des permis miniers à BSGR n’a en rien lésé les intérêts de la Guinée, bien au contraire, et qu’il n’y a aucune preuve d’un pacte de corruption avec feu le président Lansana Conté ou son épouse.

Contrat judicieux

Cette épouse, Mamadie Touré, est présentée comme un témoin peu crédible et bourré de contradictions lorsqu’il s’agit d’analyser ses dépositions qui évoquent les pots-de-vin et le rôle de Beny Steinmetz. Et comme une femme soucieuse du bien-être de la population, qui a conclu ces contrats non pas pour s’enrichir mais parce qu’elle pensait «que c’était la solution juste pour son pays», lorsqu’il s’agit d’expliquer pourcentages et paiements.

Enfin, si tous ces contrats et versements sentent encore trop le soufre, la défense joue la carte d’un Beny Steinmetz conseiller sans pouvoir décisionnel et bien trop occupé pour s’intéresser aux détails des affaires négociées à Conakry. «Certes, il a de l’autorité, il est propriétaire, il a une forte personnalité et il a du prestige», relève Me Kinzer. Mais même si on écoute ce consultant très respecté, cela n’en fait pas encore un dirigeant effectif aux manettes de l’opération. Une opération dont la défense conteste de toute manière le caractère pénal. «BSGR n’a jamais franchi la ligne rouge et Beny Steinmetz n’a lui-même jamais corrompu personne.»

«Des aveux enregistrés»

Pour lancer son réquisitoire, Yves Bertossa ironise sur cette défense qui dit aujourd’hui le contraire de ce qu’elle a soutenu durant dix ans. Une simple affaire de lobbyisme de la part d’une jeune entreprise dynamique qui va générer des richesses pour la Guinée? «Mais comment peut-on soutenir une chose pareille», s’énerve le procureur. Non sans souligner que Beny Steinmetz lui-même dit encore autre chose puisqu’il évoque toujours un complot et conteste les paiements.

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Pourquoi tant de dissimulations si tout est si normal et pourquoi Fredéric C., l’intermédiaire, se rend en Floride pour demander à Mamadie Touré de mentir tout en lui proposant 11 millions de dollars pour détruire les documents compromettants? «Ces écoutes du FBI, c’est un aveu. C’est comme de l’ADN dans une affaire d’agression.» En clair, les pots-de-vin transpirent de tous les pores de ce vaste dossier.

«Garder une vision d’ensemble»

Le Ministère public appelle la cour à ne pas se laisser entraîner dans le saucissonnage artificiel opéré par la défense. «Il faut garder une vue d’ensemble sur cette affaire. Depuis le début, les acteurs concernés n’ont eu qu’un seul objectif: influencer le président guinéen pour obtenir les concessions minières.» Pour ce faire, BSGR s’est servie de Mamadie Touré, appelée «the lady» et qui figurait au nombre des «key people» à se mettre dans la poche. Sans oublier qu’à l’époque ce pays, dont le sous-sol regorge de richesses, est des plus mal notés en matière de corruption.

La compétence est contestée (alors que Genève fait office de plaque tournante dans cette affaire) et l’enquête comparée à de l’impérialisme judiciaire? Cette critique fâche assurément Yves Bertossa: «En 2022, je ne pensais pas qu’il faille répondre à ce genre d’argument. C’est un discours qui remonte à plus de vingt ans.»

Il est passé 18h quand la procureure Caroline Babel Casutt reprend le flambeau sur le thème des sociétés écrans et des contrats farfelus. Yves Bertossa n’en a toutefois pas fini. C’est encore lui qui va ensuite requérir les peines déjà infligées par les premiers juges. Soit 5 ans de prison et 50 millions à payer pour Beny Steinmetz, 3 ans et demi et 5 millions pour l’homme de terrain et 2 ans avec sursis et 50 000 francs pour la fidèle administratrice. Ce mardi, l'audience reprendra avec de probables répliques. Enfin, la parole sera donnée aux prévenus pour une ultime déclaration. En première instance, ceux-ci n’avaient rien ajouté aux propos de leurs avocats.

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