Sept cents jeunes remis ou maintenus à l’ouvrage, alors qu’ils étaient promis au décrochage et à la dérive scolaire. C’est ce qui ressort du bilan intermédiaire de la formation obligatoire jusqu’à 18 ans (FO18), une disposition constitutionnelle genevoise unique en Suisse et entrée en vigueur à la rentrée dernière. La conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta ne saurait en tirer des conclusions hâtives: «Nous n’avons pas d’exemple comparable, donc Genève est un laboratoire qui nous engage à beaucoup d’humilité.»

Et pour cause, car il faut relativiser ce chiffre de 700. A la rentrée 2018, Genève déplorait 550 mineurs en décrochage, auxquels il faut ajouter 340 autres dont le Département de l’instruction publique (DIP) avait perdu la trace. La direction générale a donc rencontré 800 jeunes et leur famille, afin de tenter l’esquisse d’un projet d’avenir. Si on retranche 180 jeunes qui n’ont pas trouvé leur destin parmi les multiples propositions du DIP ou sont partis à l’étranger, et 300 jeunes maintenus en selle alors qu’ils étaient au bord du précipice, restent 400 adolescents pris en charge dans FO18. A ce jour, 90 d’entre eux, en échec, vont devoir demeurer dans le dispositif une année supplémentaire. Et rien ne dit que ceux qui s’y trouvent parviendront à décrocher un diplôme.

Lire aussi: Face au décrochage scolaire, le pari genevois

Passer de 85% à 95% de certification

Genève est la lanterne rouge des cantons en matière de certification au secondaire II, avec un taux de 85% seulement. C’est trop peu, même si le canton peut se consoler en se comparant aux grandes villes suisses, dont les taux sont comparables. A Genève, 1300 jeunes de 15 à 25 ans interrompent leur formation chaque année, pour ne la remplacer par aucune autre. Ces élèves sans sésame pour le marché du travail représentent 6% de l’effectif total. Raison pour laquelle le canton vise désormais 95% de certification.

Quels remèdes prévoit FO18? Pour les jeunes qui n’ont pas atteint le niveau pour entrer dans les écoles du secondaire II ou en apprentissage, le DIP augmente la formation préqualifiante, dont le nombre de places est passé de 400 à 760: classes pré-professionnelles censées représenter une passerelle vers l’apprentissage, stages par rotation dans les centres de formation professionnelle pour découvrir les métiers, programme de formation individualisé. Pour ceux qui sont déjà hors circuit, le guichet CAP Formations permet le développement d’un retour en formation. Un projet pilote prévoit aussi que des jeunes ayant décroché du cycle d’orientation (CO) puissent quitter la onzième année pour un centre de formation professionnelle. Un dispositif pour favoriser l’apprentissage a aussi permis d’augmenter la part des jeunes dans cette voie. Enfin, le DIP est actuellement en discussion avec une quinzaine d’entreprises privées afin d’obtenir quelques stages contre lesquels il offrira un encadrement éducatif.

«Le DIP a manqué d’originalité»

A l’Union du corps enseignant secondaire genevois, qui fédère toutes les associations des maîtres, le scepticisme prévaut: «Sur la forme, on constate un engorgement des services qui découle de la procédure de signalement, lourde, explique Waël Almoman, membre du bureau. Enclencher la procédure revient donc à perdre une année scolaire. Sur le fond, le DIP a manqué d’originalité dans l’offre. Quand un élève refuse l’institution, lui offrir quelque chose qui ressemble à l’organisation scolaire a peu de chances de fonctionner. Peut-être faudrait-il privilégier une sortie temporaire du milieu scolaire avec un électrochoc, par exemple une expérience forte avec des éducateurs, qui pourrait faire réfléchir et décider le jeune à reprendre une formation.» Les professeurs craignent aussi le maintien artificiel des élèves dans une offre de transition. Pour eux, FO18 est un dispositif d’urgence que Genève pourrait s’épargner s’il prenait en charge les élèves en difficulté aussitôt les premiers signes identifiés. Ces derniers temps, les maîtres du primaire ont d’ailleurs donné de la voix dans les médias devant l’augmentation des élèves ingérables. Un problème de société que l’école seule ne pourra résoudre.