Prolonger de manière pérenne le faible niveau d’activité que l’Aéroport international de Genève (AIG) a connu en 2020 ne suffira pas à atteindre les objectifs fixés en termes d’émissions de gaz à effet de serre pour 2030. C’est la conclusion la plus frappante d’un rapport que les Vert-e-s ont commandé à Noé21, ONG spécialisée dans les questions environnementales, qui a été présenté ce mercredi à la presse.

L’année dernière, pandémie oblige, le nombre de passagers a chuté de 70% à Cointrin par rapport à 2019. Le transport des 5,4 millions de passagers a engendré une pollution de 0,47 million de tonnes de CO2 en 2020. Pour basse qu’elle soit, cette mesure dépasse de 16% le niveau requis pour atteindre les objectifs fixés par le Conseil d’Etat, qui a déclaré l’urgence climatique: réduire de 60% les émissions de CO2 d’ici à 2030 par rapport à 1990.

Train vs avion

Ce seuil est atteignable d’une autre façon, a calculé l’ONG: «Les résultats de l’étude montrent que, pour répondre à l’urgence climatique en matière de trafic aérien, il est nécessaire d’adopter une stratégie qui vise conjointement à faire baisser la demande en trafic aérien et à la rediriger vers le train lorsque les distances le permettent.» Au faible trafic de 2020, il faudrait donc retirer une série de destinations afin de faire faire ces trajets aux passagers par le rail.

Un détour méthodologique s’impose. L’ONG a dressé cinq scénarios sur la base desquels la pollution générée a été calculée. Le premier correspond aux objectifs pour 2030 fixés par le PSIA, un document validé par Genève et Berne qui fixe le développement de Cointrin à cette date (25 millions de passagers par an/un mouvement toutes les 90 secondes/1,82 million de tonnes de CO2 par an). Scénario 2: situation avant le covid (17,9 millions/un mouvement toutes les deux minutes/1,29 million de tonnes de CO2). Le troisième: au trafic de 2019, on retire celui qui est transféré vers le rail (10,3 millions/un mouvement toutes les trois minutes/0,91 million de tonnes de CO2).

Le quatrième scénario correspond à l’année 2020 (5,4 millions/un mouvement toutes les six minutes/0,47 million de tonnes de CO2). Enfin, à ce trafic, on retire les destinations transférables sur le train (3,2 millions de passagers/un mouvement toutes les neuf minutes/0,31 million de tonnes de CO2). On l’a écrit: selon les calculs de l’ONG, cette ultime version est la seule dont les émissions ne dépassent pas les quotas définis par les engagements fédéraux et cantonaux envers le climat (400 000 tonnes de CO2 par an d’ici à 2030). Il est même 23% en dessous, contre respectivement +354%, +221%, +126% et +16% pour les autres.

Couvre-feu strict

Ce rapport choc va servir de base aux Vert.e.s dans le débat politique qui s’annonce avec le redémarrage progressif des activités économiques. Un projet de loi sera en effet soumis au Grand Conseil avant cet été qui demande aux députés d’avaliser un prêt de 200 millions de francs à l’AIG. Pierre Eckert, chef de groupe, a énoncé les trois conditions auxquelles son parti sera prêt à voter ce crédit: l’instauration d’un couvre-feu strict entre 22 heures et 6 heures, la création d’un fonds de reconversion du personnel travaillant actuellement à Cointrin vers le rail ou la rénovation énergétique des bâtiments, enfin les entreprises mandataires de l’AIG doivent toutes bénéficier d’une convention collective en force «afin d’éviter la sous-enchère salariale».

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Autre projet de loi en cours: celui concernant la mise en œuvre de l’initiative «Pour un pilotage démocratique de l’aéroport», acceptée à 56% en novembre 2019. Le chef de groupe a prévenu que des modifications substantielles seraient demandées au Conseil d’Etat dans le texte que ce dernier propose. Le député a, par exemple, cité un passage consacré à la mission de Cointrin. Le texte gouvernemental parle de «prestation au meilleur coût» alors que l’initiative mentionnait un «équilibre» entre l’activité nécessaire et «la limitation des nuisances pour la population».

«2020 n’est pas l’image de ce que nous voulons pour Cointrin», a tenté de rassurer Lisa Mazzone. Pour la conseillère aux Etats, il serait en effet absurde de baser le redémarrage sur une situation qui n’a nullement été planifiée, stratégiquement parlant.

La stratégie, c’est donc de bannir certaines destinations, selon des critères à définir lors du débat politique, pour mettre en place l’alternative qu’est le rail. Les vols internes sont dans le viseur des Vert.e.s, de même que les «destinations de loisir». Les liaisons vitales pour l’économie et la diplomatie de la ville internationale qu’est Genève doivent, elles, être préservées.

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Mais qui va définir quelle relation est plus importante qu’une autre? Et est-ce seulement souhaitable que le politique se mêle de faire ce choix? Réponse de la conseillère aux Etats: «Le modèle actuel n’est pas satisfaisant. Aujourd’hui, ce sont les compagnies qui décident des destinations, selon une logique qui ne répond nullement aux besoins du plus grand nombre mais qui suit une stratégie de sous-enchère.» Les «privilèges du transport aérien» (pas de TVA ni de taxe sur les carburants) ont engendré un «développement artificiel» du secteur, selon l’élue, qui prévient: «Laisser l’aéroport repartir comme avant le covid n’est pas compatible avec les buts fixés par le canton et la Confédération, ni avec la santé des riverains ni avec l’acceptation de l’initiative sur la gouvernance. Il faut être cohérent. Nous invitons les autorités à sortir la tête du sable.»

La verte assure que son parti veut «accompagner l’aéroport dans la transition, qui va être brutale» pour «le réorienter vers des missions de service public». Pour ce faire, il sera nécessaire de renégocier le PSIA, adopté par le Conseil fédéral fin 2018, car ce document serait basé sur des données qui vont nous «précipiter vers l’emballement climatique».

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Les restrictions liées à la pandémie sont particulièrement mal tombées pour l’AIG. La plateforme aéroportuaire avait en effet poursuivi des travaux d’adaptation des infrastructures en vue d’être en mesure d’accueillir 25 millions de passagers par an, objectif fixé dans le PSIA. La baisse des revenus en 2020 a contraint sa direction à contracter des emprunts pour 380 millions de francs. Une somme qui fait dire à Lisa Mazzone que l’AIG «est en situation périlleuse» et qu’il «représente un risque». «Il est temps de reprendre la main», conclut la politicienne, tant elle est convaincue que «l’intérêt public que doit défendre une institution publique comme l’aéroport n’est pas de voler à Nice pour le prix d’un billet de cinéma».