Rien ne la prédisposait à faire du droit, ni à se passionner pour le sort des étrangers, hormis peut-être ce grand-père paternel qui avait décroché un doctorat à Fribourg mais qui n’avait jamais pu exercer comme avocat en Suisse en raison de sa nationalité iranienne. Un milieu privilégié, une maturité sur les bancs du collège Calvin, le rêve jamais tenté de s’inscrire aux Beaux-Arts pour faire du dessin, le compromis boiteux de la Faculté des lettres, et finalement le choix plus structurant des lois, dans l’idée d’œuvrer à la résolution des conflits armés. Mais la quête d’un poste dans une institution internationale, troublée par les avances déplacées d’un directeur, détourne définitivement la jeune femme de cet univers. «J’ai dit non et j’ai fermé la porte.»
Les victimes ne sont ni des cobayes ni des instruments de lutte
Roxane Sheybani
Le déclic de la défense
Au lieu de la guerre, ce sera donc les réfugiés. Une expérience au sein du Service d’aide juridique aux exilé-e-s, à Lausanne, fait office de déclic. «Le contact était très riche. Je côtoyais de près de véritables phénix, des gens avec des histoires de vie et des ressources stupéfiantes.» Chargée du dossier d’une requérante, elle apprend que celle-ci a laissé sa fillette de 8 ans au pays. Contre l’avis d’un supérieur expérimenté, qui lui déconseille de donner de faux espoirs à cette maman après des années de séparation, elle dépose malgré tout une demande pour l’enfant et gagne la bataille. «J’ai découvert la défense à ce moment-là.» De quoi la convaincre de passer son brevet d’avocate. Elle aura la chance d’effectuer son stage sous la houlette bienveillante de Me Matteo Inaudi. «Il m’a tout appris. Surtout la rigueur.»
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En se mettant à son compte, Roxane Sheybani continue sur sa voie. La défense des étrangers, dans l’asile et au pénal, même si le combat a quelque chose de don quichottesque et que les dossiers pro bono s’accumulent. Comme, par exemple, celui de ce sans-abri condamné pour violation de domicile après avoir pénétré dans un cabanon de jardin pour y dormir. Elle s’est battue afin d’obtenir l’assistance judiciaire pour cet homme analphabète et non francophone qui plaidait l’état de nécessité, mais le Tribunal fédéral n’a pas ouvert la brèche, considérant le cas comme trop bagatelle pour mériter cet effort. Parfois, un banquier russe en exil vient quelque peu rééquilibrer les finances de l’étude.
Dans la lignée de Me Dina Bazarbachi, besogneuse des dossiers impopulaires et ignorés, du moins jusqu’à la victoire finale, l’avocate s’accroche malgré les déconvenues. En ce moment, elle est à la Cour européenne des droits de l’homme pour une femme battue qui a vu sa naturalisation annulée au moment du divorce, au motif que son mariage effectif avait duré moins de deux ans. «Les autorités suisses ont estimé que les violences conjugales, qui avaient commencé longtemps avant, étaient bien la preuve que ma cliente ne pouvait pas croire à cette union. C’est un message très troublant qui confirme la situation de grande vulnérabilité des femmes en matière de séjour.»
Et c’est encore dans l’idée de défendre les minorités que Roxane Sheybani a participé à la publication récente d’un guide pratique consacré à la loi fédérale sur l’égalité devant les tribunaux, coédité avec la professeure Karine Lempen, de l’Université de Genève, et destiné aux professionnels du droit qui œuvrent aux Prud’hommes. L’avocate vient d’apprendre que cet ouvrage sera traduit en allemand. Une belle reconnaissance pour le travail accompli.
La bien nommée
Cette âme de battante ne lui fait pourtant jamais perdre de vue l’intérêt de celles et ceux – victimes d’abus sexuels ou victimes d’excès policiers – qui lui confient leur vécu. «Ce ne sont ni des cobayes ni des instruments de lutte. A toutes les victimes, je rappelle que la procédure est très éprouvante, que leur parole sera remise en question et que la réparation vient rarement de la justice pénale.»
Depuis le début du mois de février, Roxane Sheybani a pris ses quartiers à deux pas du palais, rue Etienne-Dumont (anciennement rue des Belles-Filles), dans de magnifiques locaux rendus accessibles par la pandémie. Elle s’est associée avec deux autres avocates, Luana Roberto et Saskia von Fliedner, qui partagent le même état d’esprit, tout en se complétant dans des domaines très différents. «C’est bien de pouvoir discuter stratégie ou discuter tout court quand les dossiers deviennent insupportables.»
La nouvelle étude porte un nom, «OratioFortis». La parole forte. Ce dont les plus vulnérables auront toujours besoin.
Profil
1986 Naissance à Genève. Une mère valaisanne et pharmacienne. Un père iranien et médecin.
2012 Juriste au sein de Service d’aide juridique aux exilé-e-s, à Lausanne.
2016 Se met à son compte comme avocate.
2020 Coédite le guide «La Loi fédérale sur l’égalité (LEg) devant les tribunaux».
2021 Cofonde l’étude OratioFortis Avocates à Genève.
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