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La sécurité, grande absente de la campagne électorale genevoise

La peur du crime a déserté le discours politique au profit d’autres préoccupations plus urgentes de la population. Si la thématique sécuritaire ne fait plus recette, le soutien à la police s’immisce encore dans les programmes

Une voiture de la police part sur une intervention au centre de Genève. — © MARTIAL TREZZINI / KEYSTONE
Une voiture de la police part sur une intervention au centre de Genève. — © MARTIAL TREZZINI / KEYSTONE

Retrouvez tous nos articles, analyses et décryptages sur les enjeux des élections cantonales genevoises du 2 et 30 avril dans notre dossier

Mais où est donc passée la question sécuritaire à l’approche des élections cantonales genevoises? Le discours très en vogue qui faisait de la Cité de Calvin un coupe-gorge et un repaire de malfaiteurs n’a visiblement plus trop la cote. Il n’y a guère que l’UDC pour mener encore un reste de campagne – une place centrale étant quand même réservée au pouvoir d’achat – sur le thème de la peur du crime et du laxisme des juges. La question policière, lobbying syndical oblige, reste en revanche plus populaire au sein des divers programmes.

Plusieurs facteurs expliquent cet effacement sécuritaire amorcé il y a quelques années déjà. La population a bien d’autres préoccupations en tête; la délinquance de rue a reculé; les deux partis très investis sur cette question sont déjà aux commandes avec Olivier Jornot (PLR) à la tête du Ministère public et Mauro Poggia (MCG) à la Sécurité. Enfin, aucun candidat ne se profile pour revendiquer ce département maudit, avec ses syndicats de police en état d’insurrection permanente et ses chantiers carcéraux en souffrance. De quoi apaiser les esprits, même si ce calme reste fragile et qu’une grosse affaire, dotée des ingrédients nécessaires, peut toujours faire flamber la polémique.

Les années explosives

Il faut remonter à 2005 pour mesurer l’ampleur du changement. A l’époque, les résultats d’un tout premier diagnostic local, mené pour prendre le pouls de la population, révèle que l’image de la police est en chute libre et que la sécurité est devenue le premier sujet d’inquiétude des gens devant les questions économiques et le chômage. A la tête du dicastère, la libérale Micheline Spoerri, qui n’arrive guère à faire façon des troupes et privilégie l’action musclée au détriment de la proximité, n’est pas réélue après un seul mandat très agité.

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Le socialiste Laurent Moutinot reprend le département rebaptisé «Institutions» et l’Entente retrouve toute la latitude nécessaire pour critiquer «le manque de fermeté» du magistrat. La campagne de 2009 est particulièrement animée et le sujet omniprésent. Le conseiller d’Etat Pierre-François Unger (PDC), candidat à un troisième mandat, va même se faire une petite frayeur aux Pâquis pour évoquer la crainte du «Zizou» et autre voleur à l’astuce. C’est aussi l’année où le MCG, dit aussi le «parti de la police», double sa députation et devient la troisième force du canton.

Début 2010, la libérale Isabel Rochat est propulsée ministre du département concerné alors que la situation se dégrade. Les chiffres de la criminalité battent des records et Genève se voit taxée de capitale suisse du crime. La magistrate sera délogée deux ans et demi plus tard par Pierre Maudet, qui profite d’une élection complémentaire pour entrer au Conseil d’Etat et ravir ce dicastère pour lequel il se sent destiné.

Baptisé «M. Sécurité», Pierre Maudet mène la campagne de 2013 en affichant les premiers résultats de sa politique commune concoctée avec le procureur général et axée sur la répression de la délinquance de rue. Le MCG est aussi toujours très présent sur ce terrain. Son leader, Eric Stauffer, envoie un jeune collègue de parti acheter deux boulettes de cocaïne, filme la scène, appelle la police et met le tout en ligne sur le site du parti.

Les étapes du recul

Il faut attendre les élections de 2018 pour sentir le thème reculer. Même Pierre Maudet confie alors avoir fait un peu le tour de la question et préfère évoquer l’innovation ou le tourisme. La période est plutôt à l’amertume policière, avec la réorganisation de l’institution, et le MCG placarde des affiches préconisant de soutenir les forces de l’ordre pour lutter contre le deal de rue.

La campagne du MCG en mars 2018.
La campagne du MCG en mars 2018.

L’arrivée en catastrophe de Mauro Poggia à la Sécurité, pour remplacer son collègue du gouvernement désormais sous enquête pénale, fait office de tranquillisant pour son parti. A tel point que le programme pour la législature à venir ne dit mot de la sécurité. «Du moment où on est aux commandes, il y a moins de frustration», reconnaît François Baertschi, le président du MCG, qui entend rester vigilant sur «une vraie régulation de la mendicité» mais concentre désormais ses forces sur d’autres combats.

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Ce d’autant plus que la pandémie a mis le crime un peu en quarantaine dans la rue. Les dernières statistiques policières montrent que les vols à la tire poursuivent leur baisse, de même que les cambriolages qui ont chuté de 65% en dix ans. Les violences graves demeurent une préoccupation et les infractions commises via le numérique deviennent le défi du moment. Plus essentielle en matière de campagne, la sixième édition du diagnostic local révèle que seuls 13% des résidents considèrent que la sécurité est le premier problème du canton (contre 44% en 2010). Un sentiment d’insécurité est évoqué par 33% des personnes, contre 50% il y a une décennie.

Vision plus large

Certes, l’émergence du crack, le deal à ciel ouvert et la situation du préau de l’école des Pâquis se rappellent à intervalles réguliers. Le phénomène de cette nouvelle drogue trouve d’ailleurs une petite mention dans le programme sécurité du PLR (loin derrière les thèmes phares des libertés, du fiscal et de la formation), parti qui développe désormais une vision très large englobant même l’approvisionnement médical et énergétique.

Fidèles à la tradition, les formations de gauche misent elles aussi sur une approche globale de la sécurité. Il faut arriver à la page 62 du programme des Vert·e·s pour lire l’évocation de la justice climatique, la prise en charge des victimes et la tolérance zéro face aux violences policières. Le Parti socialiste énumère de son côté trois propositions: favoriser les peines alternatives, créer un point de contact permanent pour les violences sexuelles et lutter contre le profilage racial par les forces de l’ordre. Les vert’libéraux veulent une politique de sécurité à la fois efficace et respectueuse des droits fondamentaux.

Syndicats courtisés

Si la thématique sécuritaire a résolument pâli, la police n’est de loin pas oubliée. De nombreux partis énumèrent de petites promesses, qui ne font pas encore des slogans, mais qui caressent les syndicats dans le sens du poil. Il y a l’UDC qui lance carrément une initiative pour «protéger les agents contre le harcèlement judiciaire». Le MCG (avec encore une douzaine de candidats en lien avec les forces de l’ordre) suit le mouvement avec une sorte de pétition pour surveiller la gestion du corps de police.

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Encore davantage en lien avec les revendications syndicales et la concrétisation des mesures votées cet automne par le Grand Conseil, Les Vert·e·s veulent «clarifier les missions» et «assurer une meilleure gouvernance interne», Le Centre promet de «veiller à la mise en œuvre de la nouvelle loi sur la police» et Elan radical a comme premier projet de créer un centre de formation de la police à Genève.

Une seule voix discordante, celle du PLR, qui préconise la nomination d’un commandant adjoint et une plus grande transversalité. Tout ce dont les syndicats ne veulent pas. Mais il en faut plus pour effrayer Bertrand Reich: «Nous pensons toujours que la révision de la LPol et surtout la suppression de la direction opérationnelle étaient une erreur. Il s’agit de rester crédible, de garder une ligne et de soutenir l’institution. Le PLR est l’ami de la police et ne veut pas l’affaiblir.» Mieux vaut trouver les mots pour ne pas trop fâcher ces fonctionnaires particulièrement susceptibles et toujours très courtisés.

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