«Semhar, tu peux sortir de ta cachette. Maman ne va pas se fâcher»
Justice
Au troisième jour du procès de Genève, la famille de la petite victime a décrit une soirée très inhabituelle. Les proches sont persuadés que le chauffeur de taxi éthiopien est bien l’auteur du crime

«Comment as-tu pu lui faire ça? Elle n’avait que 12 ans!» Ce cri de douleur et de révolte, poussé par la sœur de Semhar au troisième jour du procès de Genève, résonne dans la salle. Le chauffeur de taxi éthiopien, accusé d’avoir violé et étranglé la fillette, écoute le récit des vies brisées. Sans broncher, comme le note le tribunal au procès-verbal. Mais lorsque le prévenu murmure ces quelques mots, «je ne l’ai pas tuée», pour protester de son innocence, il est ramené à l’ordre et la réaction des proches de la victime est telle que l’audience doit être suspendue.
Une soirée très inhabituelle
La maman de «Mimi», c’était son petit nom, explique qu’elle entretenait depuis quelques mois une relation amoureuse avec Kaleb*. Ce compatriote n’était pas particulièrement «contrôlant» et ses trois enfants l’appréciaient. Tout se passait bien, dit-elle, jusqu’à ce terrible 23 août 2012. Une soirée qui se déroulait de manière très inhabituelle. Pour la première fois, son amant caché l’invitait à dîner au restaurant. Il avait de surcroît choisi un établissement éloigné et fréquenté par d’autres Ethiopiens. Enfin et surtout, Semhar ne répondait pas à son téléphone.
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«Je me suis inquiétée avant-même de commencer à manger et je voulais rentrer mais il a dit que c’était une fille intelligente et qu’elle allait nous attendre à la maison», poursuit la mère. Le retour à l’appartement de Carouge, en compagnie du prévenu et de ses deux autres enfants, n’a pas apaisé ses craintes. La porte n’était pas fermée à clé, la télévision et les consoles de jeux étaient allumées, le ventilateur avait été déplacé et tournait encore, le téléphone de Semhar était en charge sur le balcon et la poussette du petit dernier était renversée au sol avec un soutien-gorge rose tombé dessus.
Une communauté ébranlée
Invitée par la présidente à s’exprimer et à couper sa mère si des souvenirs lui revenaient, la grande sœur de Semhar, 20 ans aujourd’hui, se rappelle avoir dit en voyant ce désordre: «Mimi, où es-tu? Tu peux sortir de ta cachette, maman ne va pas se fâcher.» La petite était déjà morte. Son corps, dissimulé sans doute avec peine sous le lit très lourd de la chambre parentale, ne sera découvert que le lendemain en fin d’après-midi.
Une sœur inconsolable. «On avait moins de deux ans d’écart et on était toujours ensemble. Je ne peux pas imaginer à quel point elle a dû souffrir. Depuis ce drame, notre vie a complètement changé.» Pour la maman, le doute n’est pas permis: «C’est à cause de lui qu’elle est partie.» L’audience, déjà tendue, devient carrément électrique avec les questions de la défense. Mes Vincent Spira et Yaël Hayat n’obtiennent pas beaucoup de réponses de la famille. Et ce n’est pas beaucoup plus simple avec leur client. «Ils disent que vous leur avez enlevé leur fille! Qu’est-ce que cela vous fait?» Kaleb, le verbe mécanique: «Je ne suis pas coupable.»
Tout en discrétion, le père de Semhar passe en dernier. Il explique que la communauté éthiopienne parle désormais beaucoup de Kaleb, de ses multiples aventures et de sa violence. «Mais maintenant, c’est trop tard.»
* Prénom d’emprunt
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