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Le sexisme policier sous la loupe des députés genevois

Un rapport de la Commission de contrôle de gestion analyse la problématique du harcèlement au sein des forces de l’ordre et propose des pistes pour changer la dynamique. Il faut surtout féminiser et libérer la parole

Image d'illustration. Des gendarmes de la police genevoise parlent avec une femme concernant une possible violence domestique à la suite de l'appel d'un voisin, Genève, 1er septembre 2010. — © SALVATORE DI NOLFI / KEYSTONE
Image d'illustration. Des gendarmes de la police genevoise parlent avec une femme concernant une possible violence domestique à la suite de l'appel d'un voisin, Genève, 1er septembre 2010. — © SALVATORE DI NOLFI / KEYSTONE

La problématique du harcèlement sexuel au sein de la police genevoise n’aura pas échappé à la curiosité des députés. Un article du Tempsavait fait office de détonateur en octobre 2020 et conduit la Commission de contrôle de gestion à s’emparer de ce sujet sensible. Une plongée dans cet univers et 42 séances plus tard, celle-ci a accouché d’un rapport unanime de 110 pages. Pilote en chef de cette analyse, la socialiste Nicole Valiquer Grecuccio a présenté ce mardi un tableau nuancé qui montre qu’on revient de très loin, que des dérapages choquants se produisent toujours, que la difficulté d’en parler est bien réelle, que la direction ne fait rien pour camoufler les choses mais qu’il faut encore chercher des voies pour libérer la parole et changer les mentalités.

Parmi les innombrables recommandations: la féminisation de ce corps qui compte encore beaucoup trop de mâles alpha. Aux yeux de la commission, il faudrait tendre vers 30% des effectifs (au lieu de 16% actuellement) afin de permettre une meilleure prévention et une autre dynamique. Un effort en ce sens aurait aussi l’avantage d’améliorer un recrutement toujours à la peine. Dans la bouche d’une policière, cela donne: «Il faut définitivement tourner la page du stéréotype du policier musclé, barbu, tatoué, de droite, qui aime faire du fitness et conduire une moto. Si l’on ne change pas le regard sur la police, on ne changera pas les gens qui y postulent.»

Message de tolérance zéro

Le premier constat est sans appel et a d’ailleurs déjà été confirmé par un sondage réalisé par la police elle-même: les comportements inopportuns existent au sein de la grande maison et les remarques obscènes ou dégradantes sont légion. Les cas considérés comme les plus graves (exposition à du matériel pornographique, contact corporel non désiré ou chantage sexuel) sont en revanche moins fréquents que les cas qui relèvent du commentaire, du regard, du geste, de l’histoire salace, et de tout ce qui peut pourrir un quotidien.

Lire aussi: De nombreux cas de harcèlement sexuel signalés dans les rangs de la police genevoise

Nicole Valiquer Grecuccio a tenu à saluer «fortement» la réalisation de ce sondage, le message de tolérance zéro qui l’accompagne ainsi que la révision du code de déontologie policière intervenue l’an dernier. Le rapport mentionne aussi que des enquêtes disciplinaires ont été lancées et des sanctions prononcées lorsque des cas ont été rapportés à Genève. On imagine d’ailleurs mal Monica Bonfanti – dont la nomination au poste de commandante avait été dénoncée publiquement comme une «promotion canapé» par le président du syndicat de la gendarmerie de l’époque – se montrer insensible à la question du sexisme.

«Lourdeur à toute épreuve»

Mais toute la bonne volonté du monde ne suffit pas encore à changer les mauvaises habitudes des plus anciens, ceux qu’une policière dépeint comme des «collègues d’une lourdeur à toute épreuve, en paroles en tout cas». Quand bien même les mentalités ont évolué avec la nouvelle génération, l’effet de groupe participe à la perpétuation de comportements inadmissibles et facilite les blagues, «car cela fait rire», note le rapport. Si ce n’est à propos des femmes policières, ce sera à l’égard des plaignantes: «Va voir le missile dans la salle d’audition.»

Au-delà des témoignages qui donnent forme au vécu de ces femmes et de ces hommes (également victimes), la commission s’est intéressée au suivi des incidents. Là encore, les éclairages donnés sont très différents (tout comme pour l’expérience vécue à l’Académie de Savatan) en fonction des situations. Pour certains, l’affaire semble parfois «oubliée»: «Le message envoyé est que si on boit un verre et qu’on a un accident en voiture, on est transféré, mais si on harcèle, il ne se passe rien ou, en tout cas, il se passe trop de temps [avant que des mesures soient prises, ndlr].»

Multiplier les chemins

La question de savoir comment dénoncer devient alors centrale, surtout dans ce milieu où la cohésion est forte pour faire face aux réalités du quotidien et où toute déclaration est vite synonyme de trahison. «Les flics ne se balancent pas», c’est bien connu. La commission a constaté que la voie de service (soit la hiérarchie directe) ne suffit clairement pas pour inciter à la parole. Le service psychosocial interne fait craindre des fuites et le Groupe de confiance de l’Etat n’a visiblement pas la cote, voire n’est même pas connu des troupes. Un comble pour un organe chargé des conflits relationnels.

Pour fluidifier tout ça, la commission pense qu’il vaut la peine d’examiner l’opportunité de recourir au service de personnes de confiance extérieures et assermentées, surtout quand le but est d’instaurer une médiation. Enfin, le rapport souligne aussi la nécessité de communiquer de manière plus visible sur les sanctions prononcées afin de ne pas donner le sentiment que tout s’est perdu dans un no man’s land.

En guise de conclusion positive, le député Alexis Barbey (PLR), rejoint par son collègue Daniel Sormanni (MCG), s’est dit surpris par l’attitude si ouverte de ces fonctionnaires, «bien dans leurs baskets» et contents de faire partie de ce corps moderne. On est bien loin de l’institution mourante dépeinte cet automne au moment de revoir la loi sur la police.

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