«Notre objectif est de convaincre et de séduire, explique Sami Kanaan, sous les toits du Palais Eynard. Pendant toute la campagne, nous n’avons pas parlé de musée, mais d’architecture. Ce fut notre erreur. Aujourd’hui, nous voulons nous donner le temps de définir le projet muséographique, avant de plancher sur l’enveloppe et les murs. C’est la raison pour laquelle nous avons mandaté Roger Mayou et Jacques Hainard. Nous avons besoin de regards externes, nourris par ce qui se fait de mieux ailleurs.».
Autour de la table, des mines solennelles acquiescent: il y a là Rémy Pagani, ministre municipal des constructions et de l’aménagement, Roger Mayou, Jacques Hainard et Jean-Yves Marin, directeur du Mah. Présidente de la Société des Amis du Mah, Charlotte de Senarclens applaudit elle aussi ce dispositif: «Notre crainte après le 28 février était qu’il ne se passe plus rien. Or le chapitre qui s’ouvre aborde les questions essentielles du public et de son accueil, des collections et de leurs mises en valeur. C’est une bonne manière de repenser l’avenir.»
Et les vainqueurs du 28 février, qu’en disent-ils? Président de Patrimoine Suisse, le Vert Robert Cramer approuve: «La méthode me semble juste. Il faut d’abord définir les besoins, réfléchir à ce que l’on souhaite montrer, puis envisager, s’il le faut, de nouveaux espaces. Je suis heureux que le Conseil administratif ait fini par adopter la même ligne que nous.» Son prédécesseur à la tête de Patrimoine Suisse, l’architecte et urbaniste genevois Marcellin Barthassat se réjouit aussi de ce tournant.
«A la réserve près que le processus pourrait aller plus vite, commente celui qui est toujours membre du comité de Patrimoine Suisse. Le rapport scientifique pourrait être bouclé d’ici au début de 2017, pour qu’on puisse lancer un concours en 2018 et aboutir à une autorisation de construire en 2020. Nous avons de notre côté formé un groupe de travail présidé par l’architecte Daniel Rinaldi, qui planche depuis plusieurs semaines sur des scénarios. Nous remettrons nos contributions au Conseil administratif.» Une commission fantôme, dites-vous? «Non, assure Marcellin Barthassat. Nous voulons seulement contribuer à la réflexion et répondre à la demande de la population qui souhaite que les choses ne traînent pas.»
Mais que penser du casting de la commission Hainard-Mayou? Son équilibre et son brio en imposent a priori. «On regrette un peu de ne pas avoir été consulté sur sa composition, tempère Marcellin Barthassat. Il est surtout dommage qu’elle ne comprenne aucune personnalité locale qui connaisse bien le Mah, son patrimoine et ses nécessités.»
Toucher au vif du sujet plus vite eût été une option pragmatique. Mais Roger Mayou et Jacques Hainard patrouilleront large d’abord, aiguillés par une obsession: concevoir un musée pour demain, c’est-à-dire désirable au-delà des cercles de connaisseurs. «Tout est ouvert, assure Jacques Hainard, même la possibilité qu’on n’ait pas besoin de nouveaux espaces, mais seulement d’une restauration.» Le Mah restauré et/ou agrandi, voire dupliqué sur un autre site, devrait s’épanouir à l’horizon 2025, si, d’ici là, il n’y a pas de référendum.
Dans l’immédiat, le patient Mah devra subir des opérations urgentes. Les verrières ont des incontinences coupables: des infiltrations d’eau menacent les toiles. «Ces travaux coûteront de 700 000 francs à un million de francs», souligne Rémy Pagani. «Un musée d’art et d’histoire, c’est comme un dictionnaire, commente encore Jacques Hainard. Il est fait de lexèmes, l’essentiel, c’est comment on les rédige. Pour qu’ils fassent envie, il faut du style.» La force des grognards, c’est de réparer les lambeaux. Ennemis jurés jusqu’au 28 février, la Société des Amis du Mah et Patrimoine Suisse s’apprêtent à renouer le dialogue. Les corniches du palais flanchent, à ce qui se dit. Mais le Mah retrouve ses esprits. Son futur est à ce prix.