Transport aérien
En début de semaine, le syndicat des pilotes français a dénoncé les cadences infernales de la compagnie à bas coûts. La situation de leurs collègues helvétiques n’est guère plus enviable, selon un témoignage

Un «programme de vol irréaliste» qui met en péril la «sécurité des passagers et des équipages»: mardi, les pilotes d’EasyJet France ont tiré la sonnette d’alarme. Dans une lettre ouverte au fondateur de la compagnie low cost, Stelios Haji-Ioannou, ils dénoncent leurs conditions de travail. En Suisse, le quotidien des aviateurs n’est pas plus enviable. Pourtant, culture du compromis oblige, les revendications ne vont pas au-delà des bruissements de couloirs.
«Les dirigeants successifs ont fait de votre compagnie un outil de profitabilité dans lequel l’employé est réduit à une variable d’ajustement, un coût. Et le passager à un profit», détaille le courrier du Syndicat National des Pilotes de Ligne, relayé par Le Figaro. En 2016, la compagnie low cost a transporté quelque 74,5 millions de voyageurs vers 155 destinations. «Les équipages sont poussés quotidiennement à leurs limites […] On demande maintenant aux commandants de bord d’utiliser, au maximum et sans s’en cacher, leur pouvoir discrétionnaire pour dépasser les limites légales de temps de vol», poursuit ce document.
Dans un communiqué, la compagnie à bas coûts réfute ces «allégations erronées», anxiogènes pour les passagers et dommageables pour la compagnie. Elle déplore également la démarche, contraire au dialogue social instauré.
«Sous pression»
Cette lettre, Antoine* en a discuté avec ses collègues. Basé à Genève, il comptabilise une dizaine d’années d’expérience chez EasyJet. Alors que l’été et ses cadences infernales touche à sa fin, le pilote dresse un constat amer. «Nous sommes sous pression comme dans toute la branche, déplore-t-il. En Suisse, on aurait encore plus de raisons de se plaindre, mais personne ne le fait.»
On atteint les limites du système. Le ciel, les aéroports, les collaborateurs, toute la machine aérienne est saturée
La compagnie low cost établit des contrats nationaux avec ses collaborateurs. Les réglementations varient selon les pays. En Suisse, où quelque 150 pilotes sont basés à Genève, 100 à Bâle, les limites de temps de vol sont moins restrictives qu’ailleurs en Europe.
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Commençant à 5h du matin ou se terminant à 23h, la journée d’un pilote dure en moyenne dix heures. Parfois douze, maximum planifiable par la compagnie, extensible de deux heures à discrétion du commandant. Il effectue généralement quatre vols courts par jour ou deux moyens courriers, vers Tel Aviv ou Hurghada par exemple. Dans ces conditions, boire un café ou avaler un repas frugal se fait la plupart du temps en vol, lorsque l’appareil est en rythme de croisière.
Rotations au sol trop courtes, journées interminables, personnel à flux tendu: les doléances s’accumulent. «A un moment donné, ce n’est tout simplement pas tenable, lâche Antoine*. On atteint les limites du système. Le ciel, les aéroports, les collaborateurs, toute la machine aérienne est saturée.»
Surmenage et intimidation
«Vous pensez que la sécurité des vols coûte cher? Essayez un accident!»: la lettre ouverte du syndicat des pilotes français touche un point sensible. Que faire quand le corps lâche? Selon la loi européenne EASA Flight Time Limitations, c’est à l’employé de déterminer, selon son état de fatigue, s’il est apte à assurer un vol ou non. «Qui dit responsabilité individuelle dit aussi pression face aux collègues, et peur d’être mal vu», souligne Antoine*.
En cas de «défection», la compagnie est chargée de trouver un remplacement, sous peine de retard ou d’annulation. Difficile donc, pour l’employé, d’assumer et d’affronter d’éventuelles critiques. Lui-même a dit stop une ou deux fois, parce qu’il n’en pouvait plus. Des décisions heureusement sans conséquence. «Malheureusement, l’intimidation marche trop souvent. Les dirigeants jouent là-dessus.»
EasyJet réfute
La compagnie low cost réfute ce constat. «EasyJet a mis en place un système de gestion des risques liés à l’épuisement, qui établit des processus justes et non-punitifs, détaille une porte-parole. En Suisse, nous avons un excellent taux de rétention. Nombre de nos pilotes sont chez nous depuis plus de 15 ans. Le taux d’absence atteint 2,5% en moyenne, soit en dessous des standards du secteur.» Elle précise également que les problématiques opérationnelles ou contractuelles sont régulièrement discutées avec le management.
Quid du statut de prestige du pilote? Un «rêve déchu». Rien de propre à EasyJet, selon lui. «Les compagnies nationales ne sont pas mieux loties, de nombreux pilotes viennent chez nous», note Antoine*. Les conditions salariales restent toutefois satisfaisantes pour lui, mais de moins en moins pour les nouvelles générations. «Face à la pénurie de pilotes qui s’annonce, en particulier hors d’Europe, la tendance va peut-être s’inverser», espère le pilote. Fin juillet, le constructeur aéronautique américain Boeing prévoyait que l’aviation mondiale aurait besoin de recruter 637 000 pilotes d’ici à 2036.
Poussés à bout, les professionnels encaissent. Jusqu’à quand? «Ce n’est pas dans la mentalité suisse de revendiquer des améliorations ou de se mettre en grève», répond Antoine*. Il existe bien un syndicat de milice, constitué de pilotes, mais il n’a pas pris position.
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*Prénom d’emprunt