Justice
Le Conseil supérieur de la magistrature vit une période agitée. Il poursuit son enquête sur les écarts festifs du procureur général et doit subir un lifting imposé par la nouvelle constitution cantonale

Le très secret et discret Conseil supérieur de la magistrature genevois (CSM) vit une période agitée. Alors que l’enquête disciplinaire visant le procureur général Olivier Jornot pour une soirée arrosée, osée et motorisée, est toujours en cours, l’organe de surveillance doit subir un lifting urgent pour s’adapter aux exigences de la nouvelle constitution cantonale.
Un projet de loi en ce sens est déposé par le Conseil d’État. Une occasion de relancer le débat sur la composition de cette autorité et son penchant très endogamique.
Revoir la composition
Actuellement, le CSM est composé de 11 membres, dont 6 magistrats issus du pouvoir judiciaire. La disposition constitutionnelle impose une réduction du nombre de membres, introduit la possibilité de nommer des suppléants et prévoit surtout que les magistrats soient en minorité.
La loi sur l’organisation judiciaire doit donc être modifiée en ce sens. Craignant que les travaux du parlement n’aboutissent pas avant fin août, date limite des mandats en cours, le gouvernement propose aussi aux députés d’adopter une mesure transitoire pour permettre à cette institution - la seule capable de destituer un magistrat - de continuer à fonctionner.
Le projet principal retient un conseil à 9 membres. Ce qui ne change pas: les deux fauteuils réservés d’office au président de la Cour de justice et au procureur général, les trois membres désignés par le Conseil d’État et les deux membres avocats, choisis par le barreau. Ce qui change: les quatre magistrats titulaires élus par leurs pairs passent à deux. Le quorum est maintenu à 7 avec l’arrivée de suppléants.
Inquiétudes
Consulté, le pouvoir judiciaire a eu l’occasion de dire son inquiétude. La minorisation de ses membres va dans le sens contraire des directives européennes en matière de surveillance des magistrats.
«Nous avons proposé une mention spécifiant que le Conseil d’État doit nommer, sur son quota, un ancien magistrat cantonal ou un magistrat de l’extérieur afin de rester compatible avec ces recommandations», précise Christine Junod, présidente de la Cour de justice et, à ce titre, du CSM. Le projet ne le prévoit pas mais ne l’exclut pas non plus. Actuellement, un des membres nommés par le gouvernement est un ancien juge.
La place du procureur général
L’autre sujet de potentielle discorde est la place qui reste réservée au procureur général au sein du futur CSM. A l’origine, il y avait l’idée que le prestige de cette charge impliquait une personnalité exceptionnelle et au-dessus de tout soupçon. La pratique a montré que tel n’est pas forcément le cas. Tant l’ancien procureur général Daniel Zappelli que l’actuel patron du pouvoir judiciaire ont occupé le CSM et placé celui-ci dans la délicate position de devoir mener une procédure contre l’un de ses membres de droit.
Plus essentiel, c’est surtout la concentration des pouvoirs en mains du chef du Ministère public - particularité genevoise - qui motive certains magistrats à préconiser une réduction du nombre de ses casquettes. «Ce sujet fait partie d’une réflexion plus large sur la gouvernance au sein du pouvoir judiciaire. La question de savoir si le parquet doit être représenté au sein du CSM, et par qui, est une problématique complexe qui ne saurait être traitée dans l’urgence de ce projet de loi», relève Christine Junod.
Un modèle intercantonal?
De son côté, Thierry Tanquerel, professeur de droit et ancien membre du CSM, défend, dans l’absolu, l’idée d’un modèle intercantonal (une possibilité que réserve d’ailleurs la nouvelle constitution pour certaines missions) qui aurait l’avantage d’élargir le bassin de recrutement, de combiner connaissance du terrain et distance avec le milieu, de limiter les risques de récusation et de gagner en légitimité.
On en est encore loin et les résistances sont grandes. Peu de cantons connaissent le système du CSM (Fribourg, Neuchâtel, Jura, Tessin et sans doute bientôt Vaud), leurs compositions et leurs tâches diffèrent aussi beaucoup. En attendant, Thierry Tanquerel espère qu’une fois la nouvelle loi adoptée, le Conseil d’État, dans sa grande sagesse, «ira choisir au moins un membre à l’extérieur de Genève».
Perles de jurisprudence
La surveillance disciplinaire est une des attributions principales du CSM. Vingt ans de jurisprudence (1992-2013), sous la plume de Christine Junod et des greffières du Conseil, réservent quelques perles.
Il est rappelé que la dignité imposée au magistrat doit être comprise comme une qualité morale essentielle à quiconque est investi par le peuple d’une parcelle de la puissance publique. Cette dignité est destinée à assurer le respect dû à la juridiction dans laquelle il sert. Elle est faite du respect de soi et des autres ainsi que de retenue.
Dans ce contexte, le Conseil a prononcé un avertissement contre un magistrat qui avait mis en avant sa position face à un policier pour éviter une contravention. Un autre a écopé d’un blâme pour avoir fait des remarques humoristiques déplacées en audience, remis en cause le travail de l’avocat et donné sa propre version des moyens de défense pertinents. Un blâme aussi pour celui qui a proféré une remarque antisémite en salle de délibération.
Une juge trop dénuée d’empathie et d’humanité, qui employait des termes forts et durs pour recadrer un justiciable, a reçu un avertissement. Enfin, un juge d’instruction suppléant, qui avait demandé à une inspectrice de jouer la victime et de mimer différentes scènes d’un viol lors d’une reconstitution, a échappé à une sanction en raison des excuses présentées et de la sévère réprimande déjà subie.
(FA. M.)