On le découvre ces jours, les témoignages contre les agissements de Tariq Ramadan à Genève s’ancrent tous dans les années 1980-1990. Deux décennies pas si lointaines, durant lesquelles l’islamologue suisse d’origine égyptienne est ce professeur de français versé dans l’humanitaire à l’aura si puissante. Au même moment, l’intellectuel est aussi très présent dans le débat public en Suisse. Comment était-il perçu à cette époque? Quelle place tenait-il dans un monde encore préservé de la montée de l’Etat islamique, où le multiculturalisme tendait à surpasser l’intégration et où les cassettes audio tenaient lieu de YouTube?

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Détenteur d’un doctorat en islamologie arabe de l’Université de Genève, brillant orateur, Tariq Ramadan est alors l’un des rares interlocuteurs francophones. Porteur d’un islam qui se veut compatible avec les démocraties occidentales laïques, son discours est écouté, sollicité dans la presse et bien au-delà. Ses multiples conférences au Centre islamique de Genève sur la «spiritualité islamique, ses fondements et la vie en Europe», ou encore la «responsabilité des musulmans en Occident» en attestent.

«Prof tranquille»

En 1988, Tariq Ramadan, alors âgé de 26 ans, est ce «prof tranquille», fondateur de Coopération coup de main, qui tente d’éveiller ses élèves aux «réalités du tiers-monde», écrit un journaliste du Journal de Genève.

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Au retour d’un séjour d’un an au Caire où il suit des cours d’études islamiques, il signe, en 1992, une pleine page «perspective» sur le «phénomène islamique» dans Le Nouveau Quotidien. Selon lui, les «islamistes» ne sont «ni des fanatiques prônant un retour au Moyen Age, ni des marginaux poussés dans la politique à cause de la misère, ni des agents payés par les pétromonarchies du Golfe».

Egalité et principes coutumiers

En 1994, dans Le Nouveau Quotidien, un journaliste le qualifie d'«insurgé tranquille». Déjà, celui qui est alors le président de l’Association musulmans et musulmanes de Suisse «charme et inquiète». Déjà, certains l’accusent d’avancer masqué, le soupçonnent d’être un «agent de l’intégrisme». Interrogé sur l’égalité homme-femme au sein de l’islam, l’intéressé esquive.

«Est-ce un principe d’égalité que l’on défend ou des coutumes? Qu’on ne mette pas sous le mot égalité des principes coutumiers, cela n’a rien à voir. La seule égalité qui vaille, c’est l’égalité de traitement devant l’éducation, le travail, le mariage.»

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A la question «refusez-vous la laïcité?», Tariq Ramadan répond avec la même ambiguïté dans un entretien accordé au Journal de Genève, en 1994 toujours: «C’est un faux problème. Si la laïcité, espace non religieux, nous permet de vivre notre religion comme nous l’entendons, il n’y aura pas de difficultés.»

Ses soutiens demeurent

Sa première apparition à la télévision française dans une émission de La marche du siècle, en octobre 1994, laissera des traces. Le Monde retient à l’époque «son éloquence et la radicalité de son discours». L’année suivante, il sera interdit de séjour en France. En Suisse, ses soutiens demeurent. Dans un article du Journal de Genève, les conseillers nationaux Jean Ziegler et Christian Grobet le définissent toujours comme un «homme de dialogue».

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En 1996, Le Nouveau Quotidien considère encore Tariq Ramadan et son frère Hani comme des «représentants à Genève» des «élites de la deuxième génération de musulmans en Suisse». Quelques mois plus tard, toutefois, la publication du livre Les Musulmans dans la laïcité met un «collège en émoi», titre le même journal. L’islamologue, qui «cultive les paradoxes» y remet en question les enseignements de biologie, de philosophie et d’histoire. «Cette gymnastique intellectuelle confine parfois au grand écart…»

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