«S’il devait s’avérer, dans le cadre de l’instruction du Ministère public, que l’Erythrée commet des actes illicites par le biais de ses représentations en Suisse, outre les éventuelles procédures pénales qui s’ensuivraient, des mesures diplomatiques pourraient être prises en fonction de la gravité des activités illicites avérées. Si la gravité des actes l’exige, ces mesures pourraient aller, en dernier ressort, jusqu’à la fermeture de l’ambassade érythréenne.» Voilà ce que le Conseil fédéral signalait le 18 novembre, en réponse à une motion déposée par le groupe PLR aux Chambres.

Les pratiques douteuses du consulat à Genève ont été mises en lumière par plusieurs médias, dont Le Temps. Il est notamment question d’une taxe de 2% sur le revenu prélevée dès que des Erythréens ont besoin des services du consulat, et qui est souvent ponctionnée sur l’aide sociale. Mais aussi de l’organisation de voyages illicites de réfugiés érythréens vers leur pays, au nez et à la barbe des autorités suisses. Car de facto, un réfugié perd son statut s’il arrive à passer des vacances dans le pays qu’il a fui. La motion demande clairement la fermeture du consulat général si l’Office fédéral de la police, fedpol, devait confirmer ces soupçons.

Sauf que voilà: cette motion, traitée ce jeudi au Conseil des Etats, adoptée à l’unanimité par le Conseil national le 18 décembre et soutenue par le Conseil fédéral, n’a plus vraiment de raison d’être. La police judiciaire fédérale a bien enquêté à ce sujet et déposé plainte auprès du Ministère public de la Confédération (MPC), mais ce dernier n’a pas estimé justifié d’ouvrir une instruction. C’est très exactement sept jours après la réponse du Conseil fédéral à la motion que le couperet est tombé: le MPC considère que la pratique de la taxe n’a rien d’illégal.

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Dans sa réponse, le Conseil fédéral annonçait déjà un peu la couleur. Au sens du droit international, dit-il, un Etat peut soumettre l’exercice de certains services fournis par ses représentations à l’étranger au paiement d’une taxe. C’est donc uniquement sur les modalités de perception de cet impôt, censé être conforme au droit international, que la Suisse peut intervenir. Et c’est sur ce point précis que les preuves font défaut. L’usage de la coercition et de la menace n’a pas pu être prouvé. Tout simplement parce qu’aucun Erythréen basé en Suisse n’a osé porter plainte et témoigner.

Le Conseil des Etats a donc classé la motion. Fin de l’histoire? Veronica Almedom, militante basée à Genève qui monte régulièrement au front pour dénoncer les exactions du régime d’Asmara, le déplore: «Pas de preuves? Je pense que c’est plutôt l’aspect diplomatique qui empêche cette affaire d’évoluer concrètement». Une allusion à l’opération-séduction amorcée par le régime d’Asmara, qui invite régulièrement des délégations étrangères. Le récent voyage de parlementaires suisses en Erythrée a été au cœur d’une polémique.

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Reste que la diaspora érythréenne demeure mutique. Veronica Almedom a son explication: «A mon avis, aucune preuve provenant de la communauté ne fera surface vu l’emprise du régime sur la diaspora. Aucun Erythréen n’est prêt à témoigner. Tous connaissent les modes opératoires brutaux et arbitraires du régime, et c’est d’ailleurs pour ces raisons qu’ils quittent le pays par milliers. En témoignant publiquement, un Erythréen prendrait des risques importants non seulement pour lui, mais aussi pour sa famille restée en Erythrée». Elle ajoute que les preuves ne manquent pourtant pas: «le MPC a pris connaissance des bulletins de versements liés aux comptes UBS à Zurich. Il est regrettable que l’instruction ait été fermée avant même qu’on ne creuse davantage dans cette direction». Des preuves insuffisantes pour le MPC. Le Canada, lui, a été jusqu’à expulser le consul érythréen, en 2013.

Jeudi, Christian Levrat (PS/FR), rapporteur de commission, a annoncé que les relations diplomatiques entre la Suisse et l’Erythrée seraient discutées de manière plus approfondie cet automne. «Car ce ne sont pas les voyages privés des uns et des autres qui imposent un agenda, ni au Conseil des Etats, ni à ses commissions», a-t-il ajouté.

Le conseiller fédéral Didier Burkhalter a de son côté rappelé que le DFAE s’est entretenu avec les diplomates de l’ambassade et de la mission de l’Erythrée auprès de l’ONU à Genève, ainsi qu’avec des représentants de la diaspora. Et avoir lui-même rencontré son homologue, le ministre des Affaires étrangères érythréen, le 29 février, à Genève. «Donc de fait, les choses avancent, mais il faut être réaliste: ce sera long et le chemin est parsemé d’embûches», a-t-il ajouté. «Parce que pour réussir à développer un vrai dialogue, il faut avoir des deux côtés une réelle volonté de progresser».

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