L’éligibilité, un enjeu secondaire
Dans la lutte pour l’obtention du droit de vote, l’éligibilité passe au second plan. «Les partisans n’osaient sans doute pas trop mettre en avant ce thème, de peur de fournir des arguments aux opposants, qui considéraient déjà que le droit de vote comportait des prérogatives très vastes», souligne Irène Herrmann, professeure d’histoire suisse à l’Université de Genève. Une fois la votation acceptée, la mise en application se révèle plus compliquée que prévu. «Les partis qui avaient concédé le droit de vote aux femmes pour des raisons de galanterie, en soulignant l’inégalité entre les sexes, revendiquent soudain l’égalité, note l’historienne. Ils érigent l’expérience politique en critère numéro un, ce qui relègue les candidates en queue de peloton sur les listes électorales.» L’enthousiasme des femmes, voyant qu’elles n’ont aucune chance d’être élues, est donc largement refroidi.
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Cinquante ans plus tard, certains reliquats du passé perdurent. «La politique reste globalement plus dure envers les femmes, souligne Lorena Parini. On les attaque plus facilement, souvent sur des aspects privés ou physiques.» Résultat: en entrant en fonction, les élues se sentent souvent obligées de prouver qu’elles sont légitimes. Elles ont aussi le sentiment de devoir être irréprochables. «Géraldine Savary n’est pas la seule à avoir été épinglée pour ses voyages en Russie, note la politologue. En revanche, c’est la seule à avoir démissionné.»
Le poids du passé
En 2009, la Genevoise Michèle Künzler expérimente la violence de l’expérience politique. «Avant d’être élue au Conseil d’Etat, j’étais une députée respectée, raconte-t-elle. Je suis soudain devenue suspecte, incompétente, limite analphabète. Dans les médias ou les débats politiques, j’essuyais des remarques sexistes, des attaques sur mon physique, on me décrédibilisait sans cesse.» A la tête du Département de la mobilité, Michèle Künzler est alors la seule femme, avec la PLR Isabel Rochat, du gouvernement genevois (respectivement quatrième et cinquième de toute l’histoire du canton). «Dans les séances, les hommes discutaient entre eux, raconte-t-elle. Avec Isabel, nous étions en bout de table, c’était très dur de trouver sa place, de se faire entendre. Je devais batailler pour faire passer chaque projet.» A cet isolement s’ajoutent des bousculades dans la rue, des lettres anonymes injurieuses et même des menaces de mort.
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En 2017, la conseillère nationale PLR Isabelle Moret est candidate au Conseil fédéral. Divorcée et mère de deux enfants en bas âge, elle est sans cesse questionnée sur sa capacité à concilier vie familiale et vie politique. «Il ne viendrait pas à l’idée de poser cette question à un homme, réagit l’élue. D’ailleurs, personne ne l’a jamais posée à Alain Berset. Alors pourquoi à une femme?» Au-delà de l’enjeu d’égalité, la présence des femmes en politique permet à ses yeux de rendre visibles certains thèmes et de faire évoluer les conditions-cadres propices à une carrière féminine. «Avec Marina Carobbio Guscetti, nous avons notamment inauguré la première salle d’allaitement du Palais fédéral», souligne-t-elle, précisant que le congé maternité n’est considéré comme une «absence excusée» que depuis peu.
Nouvelle génération
Depuis les élections fédérales de 2019, un tournant semble s’être amorcé en politique. «Une nouvelle génération de femmes plus sûres d’elles s’est imposée, note Lorena Parini. Il y a encore vingt ans, les femmes ne se revendiquaient pas féministes, aujourd’hui, c’est un argument politique.» Cela ne signifie pas pour autant que l’égalité est assurée.
Représentante de cette relève féminine, Léonore Porchet, élue au Conseil national en 2019, confirme: «A Berne, je cumule plusieurs tares, je suis une femme jeune, verte et romande. Je bénéficie donc d’un présupposé d’incompétence malgré mes années d’expérience. On me prend souvent de haut, on oublie mon prénom, on me coupe la parole, en particulier en commission de l’armée», témoigne l’écologiste qui s’estime néanmoins chanceuse, «vu le traitement réservé aux femmes au Conseil des Etats».