Justice
Le dossier le plus sensible de la République se dirige logiquement vers un procès. Le Ministère public genevois considère son enquête comme terminée et entend envoyer les cinq prévenus devant un tribunal. Pierre Maudet a réaffirmé qu’il ne démissionnera qu’en cas de condamnation

Genève n’en a pas fini avec l’affaire Maudet, mais un premier pas important est franchi. Le Ministère public a fait savoir mercredi aux parties qu’il entendait clore l’instruction et aller au procès. Un premier suspense est ainsi levé. Il n’y aura pas de classement général. Il n’y aura pas non plus de procédure négociée ou d’ordonnance pénale puisque les faits sont largement contestés. Sauf coup de théâtre, le conseiller d’Etat et les quatre autres prévenus se retrouveront donc devant un tribunal pour y répondre de différentes infractions.
Démission toujours reportée
S’agissant de Pierre Maudet, c’est le voyage d’Abu Dhabi, offert en novembre 2015 par la maison du cheik Mohamed bin Zayed Al-Nahyan, à l’occasion du Grand Prix de formule 1, périple à l’origine du scandale et des mensonges avoués par le ministre, qui constitue le gros morceau du futur acte d’accusation pour acceptation d’un avantage. Le financement d’un sondage de campagne vient aussi s’y greffer. Pas de quoi convaincre le ministre de quitter ses fonctions. Depuis le début de l’affaire, il n’a cessé de repousser l’échéance judiciaire pouvant signifier sa démission: longue enquête, renvoi en jugement, et, depuis début 2019, verdict de culpabilité. Il l’a redit ce mercredi: «En cas de condamnation, je démissionnerai.»
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Le volet Manotel, qui portait sur la générosité dont Pierre Maudet a bénéficié de la part du groupe hôtelier, sera abandonné. Faute de cadre légal approprié pour délimiter les contours du financement politique ou pour poursuivre des actes qui n'impliqueraient pas un enrichissement personnel, l’exercice s’annonçait acrobatique. Le parquet veut classer ce chapitre qui comprenait le versement de quelque 105 000 francs au comité de soutien de Pierre Maudet (dont un quart sera restitué plus tard) ainsi qu’un avantage en nature sous la forme d’un apéritif d’anniversaire et campagne, le 6 mars 2018, dans l’un des six établissements du groupe. Pour cette même date, une facture encore inexpliquée a fait l’objet de messages entre Pierre Maudet et Simon Brandt, échanges révélés lundi par Le Temps, et dont la teneur problématique sera au menu du comité directeur du PLR lundi prochain.
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«Thèse fragile»
Sous le coup de cette annonce qui tombe juste après la reprise des audiences d’instruction, et alors qu’il est actuellement très chahuté par son parti, Pierre Maudet a tenu une conférence de presse et annoncé un renfort pour sa défense. Me Yaël Hayat, spécialiste des grandes affaires criminelles et des peines sans fin, vient rejoindre Mes Grégoire Mangeat et Fanny Margairaz. Ses talents semblent surtout requis pour mener la contre-attaque sur un autre front. Celui de la plainte déposée par Simon Brandt pour abus d’autorité suite à son arrestation mouvementée, procédure distincte dans laquelle Pierre Maudet, qui se sent la cible véritable de cette action, voudrait être admis comme partie plaignante. Rien de tout cela n’est acquis, mais la prestation du jour a réussi un tour de force: se concentrer sur ce qui ne fait pas l’objet de l’instruction ou sur ce qui ne sera pas retenu.
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Sur ce dernier point, Pierre Maudet s’est évidemment réjoui de l’abandon du volet Manotel, monté en épingle, dit-il, par ses adversaires politiques. «Je me félicite que la justice, indépendante et impartiale, puisse bientôt trancher», a ajouté le conseiller d’Etat. Ses avocats n’excluent toutefois pas de demander des actes complémentaires tout en critiquant une instruction à charge, «une accusation très faible» ou encore «une thèse fragile et construite». Les parties ont un délai jusqu’au 17 août pour formuler leurs requêtes. Si aucune déferlante de demandes acceptées ne s’abat et qu’aucune surprise ne vient ébranler le dossier, un acte d’accusation sera déposé vraisemblablement avant la fin de l’année et ouvrira la voie à un procès que Pierre Maudet dit espérer courant 2022.
Quatre complexes de faits
Sauf improbable retournement, les cinq prévenus seront donc présents sur le banc des accusés. Pierre Maudet pour avoir accepté un trop luxueux voyage, agrémenté d’offrandes, en sa qualité de ministre. Patrick Baud-Lavigne, son ancien chef de cabinet – le prévenu le plus lourdement chargé –, pour avoir participé au même séjour d’Abu Dhabi, avoir divulgué des renseignements administratifs soumis au secret de fonction, avoir demandé de l’argent pour financer un sondage de campagne en faveur du conseiller d’Etat et avoir abusé de son autorité pour faciliter l’ouverture de l’Escobar malgré un dossier incomplet. Egalement impliqué dans la délivrance précipitée de cette autorisation, l’ancien chef du Service de police du commerce Raoul Schrumpf sera aussi de la partie.
A côté du ministre et ses deux anciens subordonnés, les spécialistes de l’immobilier Magid Khoury et Antoine Daher, omniprésents dans tous les aspects du dossier, devront répondre d’octroi d’un avantage pour avoir inspiré et activement participé à l’organisation du voyage, ou encore avoir versé 34 000 francs pour le sondage. Le volet concernant l’autre anniversaire de Pierre Maudet, fêté cette fois à l’Escobar et d’abord réglé par Antoine Daher avant d’être facturé à un prix réduit au conseiller d’Etat, sera classé.
Les prévenus ayant toujours contesté toute arrière-pensée coupable dans cette histoire, il faut s’attendre à ce qu’un acquittement général soit plaidé. Me Marc Hassberger, l’avocat du patron de Capvest, ne dit pas autre chose: «Après la fin des enquêtes, nous ne comprenons toujours pas ce que le Ministère public peut reprocher à Magid Khoury.» La lumière viendra bientôt.
Notre dossier: L’affaire Maudet