Terrain miné
Le terrain était assurément miné pour cet ancien commandant de la Police Région Morges, bombardé directeur d’une prison archi-bondée et d’un personnel démotivé, toujours méfiant et plutôt rétif au changement. Succédant à une lignée de dinosaures du domaine pénitentiaire, le nouveau venu a été accueilli avec beaucoup de suspicion et très vite considéré comme la créature du très mal-aimé patron de l’Office cantonal de la détention, Philippe Bertschy, auquel le personnel de Champ-Dollon, environ 320 collaborateurs, attribue beaucoup de ses malheurs.
Dans ce contexte pourri par de vieilles rancunes, Martin von Muralt avait la tâche compliquée de réorganiser une institution qui fonctionne sur le modèle militaire et qui tient à ses habitudes. Son côté intello, son approche technocratique, son goût de la confrontation et son nom à particule ne l’ont guère aidé à se faire accepter. A peine lancé en avril 2021, son projet baptisé «Ambition» – visant notamment à clarifier les missions des agents de détention, à mettre fin au modèle du gardien tournant et polyvalent, à créer des domaines spécialisés, à améliorer les prestations aux détenus, à abolir la séparation ethnique dans les étages ou encore à rétablir les repas en commun – a suscité une vague d’attaques rarement vues de la part d’officiers supérieurs, même genevois.
Fronde concertée
En juin dernier, soit huit semaines après la mise en œuvre des premières étapes de la réforme, le conseil de direction de la prison, suivi par les sous-chefs, ont adressé un courrier à Mauro Poggia. Ces missives, qui ont également pris le chemin de plusieurs médias, critiquent la réforme, s’inquiètent de risques sécuritaires assez flous, pointent absentéisme ou demandes de mutation et, surtout, s’en prennent à la personne de Martin von Muralt, dépeint comme un aristocrate distant et cassant, peu porté sur le dialogue, méprisant le savoir-faire déjà existant et usant même de «menaces» pour parvenir à ses fins.
Loin de sévir contre les frondeurs, le conseiller d’Etat a opté pour la voie d’une médiation censée rétablir le dialogue entre le directeur et les cadres. Celle-ci a très vite capoté, tous les gradés ayant finalement refusé la rencontre avec Martin von Muralt. En parallèle, le département a lancé un audit sur une réforme qui commence tout juste à se déployer. De quoi fragiliser encore plus le directeur durant cette phase d’expertise, qui va forcément durer de longues semaines. Les conclusions et recommandations de cet audit seront examinées «avec la plus grande attention», souligne d’ailleurs le communiqué du jour.
Pour couronner le tout, le syndicat des gardiens de prison, qui avait pourtant accueilli les velléités de changement avec une surprenante sérénité, a annoncé tenir une assemblée générale extraordinaire le 15 septembre pour prendre le pouls de ses membres. De quoi faire monter la température d’un cran, sachant que la base ne prend d’ordinaire pas ses distances avec ses chefs les plus immédiats. Autant de facteurs laissaient augurer des conflits sans fin que la démission du jour permet donc de désamorcer.
Autre son de cloche
Difficile dès lors de résumer ce passage éclair à une simple erreur de casting. Le professeur Hans Wolff, patron de la médecine pénitentiaire, porte d’ailleurs un tout autre regard sur ce directeur qui l’a aidé à gérer efficacement la pandémie dans un cadre explosif et à éviter toute flambée incontrôlée sans pour autant piétiner tous les droits des détenus. «Martin von Muralt a montré beaucoup de qualités. C’est un homme intègre, à l’écoute et qui a le sens du compromis. Il a bien compris l’importance du médical en prison. Il a des convictions, mais il accepte d’en débattre tout en veillant à garder un ton respectueux. Je ne l’ai jamais senti dans une posture agressive, ni entendu propager des rumeurs malveillantes.»
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De son côté, le principal intéressé se veut positif. «Je passe le témoin comme directeur après deux années riches en expériences pour permettre la continuation du travail dans la sérénité. Malgré les difficultés actuelles, je reste très fier du travail accompli avec mes collaborateurs. Nous avons relevé un double défi: gérer l’impact de la pandémie sur la prison et mettre en route une réorganisation majeure. La feuille de route pour la suite est connue et présage de belles perspectives.» Rien n’est moins sûr. A Champ-Dollon, la tranquillité est une chimère depuis bien longtemps.