Inspiration française
«Ce projet de loi s’inspire de ce qui se fait en France, où le stage de deux semaines en prison fait partie intégrante et obligatoire de la formation des futurs magistrats», explique Pierre Bayenet. Au moins une semaine est faite en qualité d’agent de détention et la deuxième semaine peut se dérouler de manière transversale, par exemple au service social. Même si Genève ne connaît pas d’Ecole de la magistrature (les futurs procureurs ou juges doivent être titulaires du brevet d’avocat et avoir trois ans d’expérience avant de proposer leur candidature à l’élection pour un poste), le député estime qu’une telle expérience aurait du sens. «Tous les avocats ne fréquentent pas la prison, et surtout, ils n’en connaissent que les parloirs et ignorent le déroulement concret de la vie carcérale.»
Aux yeux du député, rien ne sert d’imposer l’exercice. «Il faut avoir envie de faire l’immersion pour en sortir grandi.» Son projet ne vise pas une catégorie spécifique de magistrats, mais il pense avant tout aux futurs procureurs qui ont un rôle majeur en matière de détention et qui continuent souvent leur carrière en devenant juges au pénal. Bien que la France ne soit guère un exemple en matière de prison, Pierre Bayenet ne désespère pas de l’effet d’un tel stage sur la propension à enfermer. Il cite ainsi l’interview d’une magistrate, publiée en 2011 par le quotidien La Croix, qui disait avoir «été marquée à vie» par son séjour incognito derrière les barreaux. Un électrochoc qui permet de prendre conscience des conditions de détention, de mesurer la portée des décisions prises et de voir comment les détenus comprennent le système.
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«Excellente idée»
La proposition est plutôt bien accueillie. Même au sein du PLR. Le député Pierre Conne trouve le concept intéressant et fait l’analogie avec sa propre expérience: «Avant de devenir médecin, j’ai effectué un stage d’été comme aide-soignant. Cette confrontation avec la réalité du terrain m’a été très utile. J’imagine que celui qui veut envoyer quelqu’un en prison gagne aussi à mieux connaître le milieu.» Présidente de la Commission de droit pénal de l’Ordre des avocats de Genève, Me Catherine Hohl-Chirazi se montre enthousiaste: «C’est une excellente idée qui permettra aux personnes qui ordonnent ou participent à la privation de liberté de mesurer intimement ce que cela représente.»
Même Mauro Poggia, le ministre chargé de la Sécurité, se dit sensible à cette perspective et attend surtout de savoir ce que la magistrature en pense. Pour cela, il faudra encore patienter. Contacté, le procureur général Olivier Jornot «réserve la prise de position des autorités judiciaires pour le Grand Conseil». On ose déjà deviner un accueil plutôt froid sur le mode «tous ceux qui sont en prison ont une bonne raison d’y être». Quel que soit le sort qui sera réservé à ce stage de sensibilisation carcérale, la question principale demeure. Avec l’abandon du projet de méga-prison, quelles seront les solutions proposées pour désengorger et rénover l’établissement surpeuplé (qui comptait ce lundi 581 détenus pour 398 places) de Champ-Dollon?
Un avenir densifié
Attendu sur le sujet, Mauro Poggia précise «qu’une alternative aux Dardelles a déjà été présentée à deux commissions». En substance, il s’agit de construire un nouveau bâtiment à côté de Champ-Dollon, ce qui permettra de déplacer les détenus afin de détruire la vieille prison (qui tombe en ruine) avant de la reconstruire elle aussi, d’ajouter encore un petit établissement pour les femmes et de rénover Favra qui accueille les mesures de contrainte. En tout, pour les hommes, le projet prévoit environ 400 places de détention provisoire et 550 places en exécution de peine (dont les 180 existantes à la Brenaz), explique le conseiller d’Etat.
Ce projet beaucoup plus dense fera certainement plaisir à ceux qui craignaient la colonisation des parcelles agricoles voisines, mais il fera aussi frémir ceux qui misaient sur une approche plus diversifiée visant à diminuer le nombre de détenus, au lieu d’augmenter toujours le nombre de cellules. C’est dans cet esprit que Pierre Bayenet déposera, cette semaine aussi, une motion visant à évaluer et à augmenter le recours au travail d’intérêt général (TIG). «Les analyses statistiques démontrent que Genève est très, très, très à la traîne. En 2019, le canton avait 17 TIG, alors que Berne et Zurich en avaient plus de 1000 chacun.» De quoi nourrir encore le débat.