L’ami discret franco-ivoirien
La même année, il avait quitté Trafigura et Genève du même coup. Demeuré consultant, il ne s’est pas beaucoup éloigné de l’univers pétrolier. Dans les émirats, ses bureaux sont établis à la même adresse que ceux de Frédéric Fatien, un Franco-Ivoirien qui possède la société Worldwide Energy. Cette société sans référence dans l’univers pétrolier a obtenu d’importantes cargaisons de brut à exporter depuis la Côte d’Ivoire, souvent revendues à Trafigura. Son essor a débuté lorsque Trafigura a été banni du pays, à la suite d’un scandale qui, quinze ans après, continue de ternir sa réputation et qui a valu à Jean-Pierre Valentini un séjour dans les geôles ivoiriennes.
C’était en août 2006. Les traders de Trafigura, affréteurs du Probo Koala, un vieux pétrolier, viennent de se lancer dans une périlleuse opération chimique en mer pour nettoyer un carburant acquis au Mexique à bas prix. Le port d’Amsterdam a bien accepté de traiter les résidus toxiques, mais pour un prix trop élevé au goût de Trafigura. Le navire erre dans les océans jusqu’à ce que la firme croise la société ivoirienne Tommy SA, inexpérimentée en la matière mais titulaire d’une licence délivrée quelques jours avant par les autorités. Ce n’est plus le problème de Trafigura: son sous-traitant déverse 528 mètres cubes de déchets toxiques aux quatre coins d’Abidjan, à l’air libre, provoquant une catastrophe sanitaire. Selon l’ONU, ces déchets auraient entraîné 15 décès, l’hospitalisation de 69 personnes et plus de 108 000 consultations médicales.
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En Afrique, l’indignation est immense. Coutumier des missions délicates, le CEO Claude Dauphin, décédé depuis, se rend en Côte d’Ivoire avec Jean-Pierre Valentini pour jouer les pompiers. Ils sont aussitôt incarcérés durant six mois, avant que la firme ne scelle un accord avec les autorités, à 198 millions de dollars pour solde de tout compte. Depuis, Trafigura rejette toute responsabilité.
Passion pour les bolides
L’homme qui officie, à l’époque, comme porte-parole de crise de Trafigura se nomme Roald Goethe: il succède en 2016 à Valentini au poste de directeur Afrique après avoir joué un rôle similaire à celui de Frédéric Fatien à proximité de la firme genevoise.
Contactée, Trafigura déclare que Jean-Pierre Valentini a quitté l’entreprise il y a plus de cinq ans et n’a plus collaboré avec depuis. Quant à Worldwide Energy, Trafigura réitère qu’il s’agit d’une entité indépendante avec laquelle elle commerce de temps en temps. Frédéric Fatien n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Fatien et Valentini partagent le goût du frisson, dans les affaires pétrolières comme dans la course automobile. Ensemble, ils forment l’écurie GPX Racing, qui roule sur Porsche depuis l’année dernière. Une passion qui anime aussi Roald Goethe et l’actuel numéro trois de Trafigura, Mike Wainwright.
Sali par l’île de Beauté
Originaire de Corse, Jean-Pierre Valentini a baigné dans le continent africain dès son plus jeune âge. Son oncle, Mathieu Valentini, était un proche d’André Tarallo, un personnage clé de la retentissante affaire Elf, dont il était le «M. Afrique». Il comptait aussi pour amis les frères Feliciaggi, qui détenaient des intérêts au Gabon, au Cameroun et au Congo, en particulier des maisons de jeu.
Jean-Pierre Valentini a suivi cette voie, chapeautant les opérations pétrolières risquées de Trafigura au Soudan du Sud, au Nigeria, en République du Congo ou en Angola. «Nous sommes en conformité totale avec les lois», proclamait-il en 2013, dans une rare interview, donnée à Jeune Afrique. On peut le croire sur parole, même si d’autres, comme son concurrent Gunvor, ont été condamnés pour des activités similaires au Congo et en Côte d'Ivoire.
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Cependant, pour Valentini, les ennuis ne proviendront pas d’Afrique mais de son île natale. En février dernier, deux juges d’instruction de Marseille, Anaïs Trubuilt et Thomas Hirth, l’ont mis en examen pour blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs dans une affaire visant le gratin du milieu corse, la bande du Petit Bar, comme l’a révélé Le Monde.
En cause: une transaction immobilière à Courchevel. L’un des piliers de ce clan, Mickaël Ettori, et l’un de ses bailleurs de fonds, Antony Perrino, souhaitaient investir dans cette station de ski huppée de Savoie. Perrino aurait alors demandé à son ami d’enfance, Jean-Pierre Valentini, d’avancer la somme de 1,92 million d’euros dans une société pour lancer la construction de chalets destinés à la location.
Par le passé, le trader s’était déjà associé à Antony Perrino dans un projet immobilier en Corse, finalement abandonné, et avait effectué des versements en faveur d’un autre bailleur du Petit Bar.
Sollicités, les juges d’instruction Anaïs Trubuilt et Thomas Hirth n’ont pas souhaité répondre à nos questions, «s’agissant d’une enquête en cours». Contacté à de multiples reprises, l’avocat de Jean-Pierre Valentini, Me Maurice Lantourne, n’a pas donné suite.