Après avoir perdu le soutien du Grand Conseil genevois, celui des élus PLR au parlement cantonal et celui de son propre parti au niveau fédéral, Pierre Maudet est en train de perdre l’appui des Genevois. C’est ce que révèle le sondage que Le Temps, la RTS et Radio Lac ont commandé à l’institut MIS Trend. A la question de savoir si Pierre Maudet doit démissionner de ses fonctions de conseiller d’Etat, 62,4% des sondés répondent qu’ils y sont «favorables» (40,4% «très favorable», 22% «assez favorable»).
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Même ceux qui ont voté pour Pierre Maudet lors des élections du printemps 2018, veulent désormais majoritairement (61,5%) le voir partir. Ceux qui se déclarent sympathisants PLR sont plus sévères encore que la moyenne (64,6%). Pierre Maudet a déçu les Genevois, ses électeurs en particulier.
Ne reste donc au magistrat PLR qu’un parti cantonal fractionné à la recherche d’un nouveau président, et un département taillé à la hache par ses collègues du Conseil d’Etat. L’image triomphante du président d’un Conseil d’Etat conquérant n’est qu’un lointain souvenir.
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Depuis le début de l’affaire qui porte son nom, Pierre Maudet a souvent invoqué sa brillante élection comme argument pour ne pas démissionner du Conseil d’État. «Le peuple m’a confié une mission, je ne compte pas me défiler», déclarait-il dans nos colonnes, le 18 décembre dernier. Or, depuis les élections cantonales, de l’eau a coulé sous les ponts.
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La date du 30 août 2018 restera gravée dans l’histoire de Genève: le Ministère public publiait alors un communiqué détaillé annonçant la mise en prévention de Pierre Maudet pour acceptation d’un avantage. C’était le début d’une avalanche de révélations sur ce surdoué de la politique. Devant les procureurs, il a admis avoir menti sur l’organisation de son voyage à Abu Dhabi en novembre 2015. Il reconnu avoir incité un de ses compères à mentir lors de son interrogatoire puis l’a félicité pour l’avoir fait. Lui-même a d’ailleurs déclaré avoir eu un comportement «indigne» de sa fonction. On a également appris que Pierre Maudet a développé une drôle de relation à l’argent. Ces trois dernières années, les cotisations dues à son parti ne venaient pas de sa poche. Le doute est permis sur la sincérité de ses déclarations fiscales. Des vérifications sont en cours.
Réponses cinglantes
Nous avons voulu connaître l’effet de ces révélations successives sur l’opinion publique. Les réponses sont cinglantes. Des sept conseillers d’État, il est celui dont les Genevois ont la pire image: 54,2% des sondés lui attribuent une notre entre 1 et 5. Sa moyenne sur dix est de 4,3, marquant un écart significatif avec les six autres. Au passage, notons que Mauro Poggia vole au-dessus des autres ministres. Les sympathisants PLR le notent mieux que Nathalie Fontanet, pourtant ministre des finances PLR.
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Si Pierre Maudet devait participer à la partielle qui serait organisée suite à sa démission, 14,5% des sondés revoteraient pour lui, 12,3% ne voteraient pas pour lui mais pour un autre candidat PLR, 37,9% ni pour lui ni pour un autre PLR. En enlevant les abstentionnistes, le chiffre des personnes prêtes à revoter pour Pierre Maudet monte à 20%, soit 30% de moins qu’au printemps dernier.
«Une information orientée», selon Pierre Maudet
En réaction à ce sondage, Pierre Maudet, à qui nous avons soumis les réactions des sondés le concernant, nous a fait parvenir la réponse suivante:
Je prends acte des résultats de ce sondage, dont l’approche scientifique trahit une démarche qui ne l’est pas. Il s’agit au fond plus d’une information orientée, que d’une vérité absolue, compte tenu des nombreux biais (influence dans la formulation et orientation dans l’enchaînement des questions, consultation effectuée avant une décision judiciaire, etc.) de ce type d’exercice.
D’après les bribes d’éléments qui m’ont été transmis ce lundi pour commentaire, et sans avoir accès à une vue d’ensemble, il semblerait qu’un grand nombre de sondés évoque «l’acharnement des médias» à mon encontre pour justifier leur soutien. Cet «acharnement» entraîne aussi l’effet inverse, mais de façon insidieuse, puisque c’est justement le déferlement de nouvelles – souvent inexactes – me concernant qui provoque et alimente les dégâts d’image qui me sont par la suite reprochés.
Par ailleurs, je m’interroge sur le fait qu’à aucun moment, on ne demande aux personnes sondées leur avis concernant le rythme de la procédure dans cette affaire. Outre la temporalité et l’aiguillage qui ont été donnés à ce sondage, je me pose également la question de son ciblage: Pourquoi n’a-t-on pas eu droit, dans un passé récent, à une enquête de popularité sur d’autres élus actuels ou sortants? L’affaire des notes de frais des Conseillers administratifs de la ville de Genève a-t-elle détérioré l’image que l’on a des politiciens genevois en général? Je serai aussi curieux de connaître les résultats d’un questionnaire critique, évaluant la confiance envers les médias et leur virulence contre un magistrat en particulier. Ou encore, portant sur la crédibilité de mes détracteurs, certains ayant fabriqué des fausses informations pour me nuire, et ce que certains médias ont relayé, avant que le ministère public ne constate, environ 10 mois plus tard, la supercherie.
En l’état, il est surtout utile de rappeler que, malgré les attaques dont je fais continuellement l’objet, une majorité du corps électoral continue d’accorder sa confiance à mes projets. J’en veux pour preuve, la votation de ce dimanche sur la laïcité qui s’est tout de même soldée dans les urnes par une acceptation à 55%.
Une image très dégradée par rapport aux autres ministres
Pour chacun des membres du Conseil d’Etat du canton de Genève, quelle est votre appréciation le ou la concernant dans la pratique de ses fonctions?
Mieux élu des membres du Conseil d’Etat, Pierre Maudet est celui des sept qui laisse le moins indifférent les Genevois. 15,3% seulement des personnes sondées n’ont pas pu donner une appréciation générale sur lui, ne le connaissant pas assez. Avec les nouveaux venus, ce pourcentage peut monter haut (43,9 pour Nathalie Fontanet, 46,8 pour Thierry Apothéloz). Serge Dal Busco, qui a pourtant déjà fait une législature complète, reste un inconnu pour 42,1% des sondés.
S’ils connaissent Pierre Maudet, les Genevois ont une appréciation tranchée: 24,2% lui attribuent la note sanction de 1 sur 10. Vient ensuite Anne Emery-Torracinta, avec 3,8% seulement. Si l’on regroupe les appréciations notées, c’est de nouveau lui qui s’en sort le plus mal. Chez Mauro Poggia, elles se distribuent de manière très équilibrée: 25,5% lui attribuent une note entre 8 et 10, 22,6% entre 6 et 7 et 26,8% entre 1 et 5. Pour Pierre Maudet, la balance pèse nettement du côté négatif (16,5%, 14,1%, 54,2%). Cela se traduit logiquement par une note moyenne (4,3 sur 10) plus basse que celle des autres.
Des soutiens qui changent d’appréciation
Quelle est votre appréciation concernant Pierre Maudet dans la pratique de ses fonctions?
Pour certains, la dégradation de l’image du conseiller d’Etat PLR est moins forte. Qui sont-ils? Dans ce paysage dévasté, le portrait-robot du soutien relatif à Pierre Maudet est un homme de 55 ans et plus, n’habitant pas en ville de Genève. Il reste en effet 20,5% des hommes sondés pour conserver une bonne image du magistrat (note entre 8 et 10). C’est plus haut que chez les femmes (12,9%), même si 55,7% des hommes, soit la majorité, lui donnent entre 1 et 5, contre 52,9% des femmes. Les 18-34 ans ont la même sévérité à 54%, les 35-54 ans, soit la génération du magistrat, à 58,8%.
Parmi les 1032 personnes sondées, 201 ont déclaré avoir voté pour Pierre Maudet au printemps dernier. 30,3% confirment en quelque sorte leur voix (note entre 8 et 10) mais près de la moitié (49,9%) semblent avoir été déçus (note de 1 à 5). La proportion des électeurs qui ont déclaré un vote PLR et qui ont désormais une mauvaise image du ministre est plus importante encore (54,8%). Parmi eux, 29,2% ont encore une appréciation positive (note entre 8 et 10) du magistrat.
Une affaire qui divise les générations
Avez-vous déjà ou non entendu parler de l’affaire Maudet?
Depuis la rentrée de septembre 2018, les médias genevois et suisses empilent les articles, vidéos et autres émissions sur l’affaire Maudet. Ce feuilletonnage intéresse-t-il au-delà du cercle des journalistes? Notre sondage montre que oui. Il y a toutefois des nuances: les hommes (63,2%) se montrent plus intéressés que les femmes (46,2%). Logiquement, ceux qui ont voté pour Pierre Maudet se passionnent pour ces développements (84,1%) mais ceux qui ne l’ont pas fait restent interpellés (40,1% de réponse «je m’y suis plutôt intéressé» contre 51,2% «je ne m’y suis pas du tout intéressé»). 57,6% des personnes qui disent avoir une mauvaise image de Pierre Maudet suivent ce feuilleton assidûment. Par Schadenfreude?
L’affaire semble creuser un fossé entre les générations. Les 55 ans et plus sont 67,8% à se dire «plutôt intéressé» alors que les 18-34 ans sont 53,9% à affirmer ne s’être «pas trop intéressé» aux turpitudes de Pierre Maudet. Les 35-54 ans, soit la génération du magistrat PLR, sont plus hésitants: 55,3% de «plutôt intéressé» mais 40,8% de «pas trop intéressé». Il faut noter que 62 des 1032 personnes sondées ont déclaré ne pas savoir de quoi il s’agit lorsque l’affaire Maudet a été évoquée.
Pierre Maudet, principale victime de Pierre Maudet
Aujourd’hui, diriez-vous que l’affaire Maudet a plutôt détérioré ou non l’image que vous aviez des instances suivantes?
Qui pâtit de ce mauvais feuilleton qu’est l’affaire Maudet? D’abord et avant tout le conseiller d’Etat lui-même, montre l’étude. Les sondés sont en effet 531 (54,8%) à considérer que ces révélations ont «vraiment beaucoup détérioré l’image de Pierre Maudet». Si l’on additionne ce pourcentage à celui de ceux qui jugent que cette histoire a «plutôt» détérioré son image, on arrive à 77,7%. Faisons la même opération concernant le PLR: 65% des sondés pensent que l’image du parti a souffert (34,7% «vraiment beaucoup détérioré», 30,3% «plutôt détérioré»). 21,3% disent qu’elle n’a pas été altérée.
Faut-il ranger la classe politique genevoise dans la catégorie des victimes collatérales de l’affaire Maudet? 68,4% pensent que oui (39% «plutôt détérioré», 29,4% «vraiment beaucoup»). Rappelons ici que le rapport de la Cour des comptes dénonçant la gestion des notes de frais au sein de l’exécutif de la ville de Genève a été publié cet automne et que certains sondés peuvent faire l’amalgame. Idem pour le voyage du conseiller administratif PDC Guillaume Barazzone à Abu Dhabi, auquel la justice genevoise n’a pour l’heure rien trouvé à redire.
Une invitation à la démission sans ambiguïté
Avec les connaissances que vous avez, pensez-vous que Pierre Maudet devrait démissionner de ses fonctions publiques?
Toutes les catégories de personnes que nous avons interrogées le pensent: Pierre Maudet doit à présent démissionner. Les hommes (64%), les femmes (61%), les 18-34 ans (57,8%), les 35-54 ans (66,7%), les 55 ans et plus (61,2%), les habitants de la ville de Genève (66,9%), tout comme ceux du canton (58,9%). Il est toutefois un résultat particulièrement douloureux pour le magistrat. Sur les 970 qui se sont dites au courant de cette affaire, 200 déclarent avoir voté pour Pierre Maudet lors des dernières élections. Eux également sont désormais majoritairement d’avis (61,5%) qu’il est temps pour lui de partir. Les votants PLR sont 64,6% à partager cet avis, soit à peu près le même pourcentage (65,2%) que ceux qui n’avaient pas voté pour ce parti. Il reste toutefois des poches de personnes qui se déclarent «assez peu favorable» à l’option de la démission. On le retrouve chez les hommes (30%), les 55 ans et plus (32,6%), les habitants du canton (30,1%), les votants PLR (32,8%). Curieusement, cette tendance est aussi forte chez ceux qui déclarent ne pas voter (34,1%) que chez ceux qui ont voté pour Pierre Maudet (33,2%)
Le poids du mensonge
Pour quelles raisons pensez-vous que Pierre Maudet doit démissionner?
Les sondés qui ont déclaré être favorables au fait que Pierre Maudet démissionne de son poste de conseiller d’Etat ont été invités à dire pourquoi. Cette question était ouverte: aucune réponse n’a été suggérée, ni par téléphone, ni par internet. Les résultats montrent le poids du mensonge élaboré par le magistrat dans la conviction des citoyens: 67,8% des sondés disent spontanément que c’est parce qu’il a menti à la population qu’il doit s’en aller. La gravité des faits reprochés sort beaucoup plus bas dans ce classement. Si Pierre Maudet avait spontanément avoué son faux pas dès les premiers soupçons, s’en serait-il mieux sorti?
Viennent ensuite le manque d’exemplarité et le manque de respect pour la population, en particulier pour ses électeurs.
Les médias accusés d’acharnement
Pour quelles raisons pensez-vous que Pierre Maudet ne doit pas démissionner?
Les sondés défavorables à la démission de Pierre Maudet (253 personnes) ont été invités à dire pourquoi. Cette question était ouverte, aucune réponse ne leur a été suggérée, ni par téléphone, ni par internet. La raison majoritairement invoquée est l’acharnement médiatique que les sondés perçoivent contre Pierre Maudet (50,2%). Cette croyance est même plus forte chez ceux qui ne votent pas PLR (54,4%) que chez ceux qui votent pour ce parti (46,7%). Elle est très ancrée (60,5%) dans une ville de Genève dont on a vu par ailleurs qu’elle n’était pas tendre envers le magistrat. Ce dernier reste d’ailleurs «le plus compétent de tous» pour beaucoup. Pour ceux qui ont voté pour lui, c’est même la première raison invoquée pour exclure une démission, avant l’acharnement perçu.
Le Conseil d’Etat fait juste, sauf dans l’affaire Maudet
Comment jugez-vous la gestion politique de l’affaire Maudet par le Conseil d’état dans son ensemble durant les six derniers mois?
Les Genevois savent porter un jugement nuancé sur leur Conseil d’Etat. C’est en tout cas ce que l’on peut conclure des réponses que les sondés ont données à deux questions différentes mais complémentaires. Dans un premier temps, il leur a été demandé leur avis sur l’action du gouvernement cantonal dans son ensemble. Globalement, la qualité de celle-ci a été jugée de «plutôt bonne» (47%) à «très bonne» (4%). On peut donc dire que 51% des sondés sont satisfaits, contre 32% d’insatisfaits (26% «plutôt mauvaise», 6% «très mauvaise»), 17% ne se prononçant pas.
Au moment de juger de la gestion de l’affaire Maudet par ce même collège, les résultats s’inversent: 55,3% disent cette gestion mauvaise (14,8% «très», 40,5% «plutôt»), contre 25,2% (23,9% «plutôt bonne», 1,3% «très bonne»). Sur cette question, les électeurs de Pierre Maudet (36,6% de «plutôt mauvaise») sont moins sévères que ceux qui n’ont pas voté pour lui (44,2% «plutôt mauvaise»). Les premiers sont même les plus cléments envers le Conseil d’Etat, avec 35,2% de sondés estimant que la gestion a été «plutôt bonne».
Entre les deux questions, la note moyenne du Conseil d’Etat (sur 4) passe de 2,6 à 2,1, un écart significatif à cette échelle.
En cas de partielle, Pierre Maudet souffrira
Si une élection partielle devait avoir lieu dans un avenir proche, et que Pierre Maudet se représente, quelle affirmation parmi les suivantes correspond le mieux à votre opinion suite à l’affaire Maudet?
Au début de l’affaire Maudet, plusieurs voix venant de son camp lui ont enjoint de démissionner pour partir, lors d’une élection partielle, à la reconquête du siège qu’il aurait libéré. Un bon moyen de vérifier si les Genevois lui pardonnent ses faux pas.
Les électeurs seraient-ils prêts à faire de nouveau confiance à Pierre Maudet? Non, indique le sondage. Seuls 14,5% se disent prêts à voter pour lui «sans problème». 12,3% voteraient pour un PLR, mais pas pour Pierre Maudet. Un cinquième des sondés (20,6%) ne sauraient quelle attitude adopter. 29,7% de ceux qui avaient voté pour Pierre Maudet au printemps 2018 seraient prêts à le refaire, 25,9% voteraient pour un autre PLR.
Tentons un autre calcul. Si l’on retire les 152 personnes qui disent qu’elles n’iront pas voter ainsi que les 157 qui n’ont pas voté dans le passé et qui, confrontées à cette partielle théorique, disent ne pas savoir ce qu’elles feraient (on peut les considérer comme des abstentionnistes), le score de Pierre Maudet dans ce corps électoral reconstitué serait de 20,74%. Une perte de 30% par rapport à son élection du printemps 2018.
Fiche technique
Sondage réalisé du 29 janvier au 5 février 2019 par l’institut M.I.S. Trend à Lausanne et Berne, auprès de 1032 citoyens genevois, âgés de 18 ans et plus, représentatifs de la population. Marge d’erreur sur le total: + ou - 3,1%
Retrouvez l’étude de MIS Trend en PDF.