Le Zougois Gerhard Pfister, 53 ans, est à ce jour le seul candidat à la succession de Christophe Darbellay à la présidence du PDC. Le conseiller aux Etats soleurois Pirmin Bischof a renoncé. Seule demeure ouverte la décision du conseiller national grison Martin Candinas. Gerhard Pfister est connu pour ses positions très conservatrices. Il est le plus à droite de tous les parlementaires démocrates-chrétiens. Cela suscite de réserves à son égard. Interview.

Pourquoi voulez-vous devenir président du PDC ?

Je suis au parlement depuis douze ans. J'ai longtemps présidé la section zougoise du parti. Et j'ai envie d'assumer une fonction dont on dit qu'elle est difficile.

Est-ce l'esprit du temps, caractérisé par un renforcement de la droite au parlement, qui vous motive à déposer votre candidature ?

Pas principalement. Lorsque j'ai intégré la présidence du PDC, je me suis heurté à de fortes résistances. J'ai aujourd'hui le sentiment qu'il n'est plus complètement impossible que l'on m'élise président du parti. Mes positions n'ont pourtant pas changé. Dans le rating du Conseil national, elles ont légèrement évolué vers le centre.

Très légèrement…

De votre point de vue, oui. Mais je n'ai pas changé. C'est le parti, voire la société qui ont évolué. La défense des valeurs conservatrices y a regagné de l'intérêt. J'ai été chef de la campagne du parti en 2011. Cela m'a permis de nouer de nombreux contacts et j'en récolte peut-être les fruits maintenant.

Souhaitez-vous que le PDC soit plus conservateur à l'avenir que durant les dernières législatures ?

Il me paraît nécessaire de défendre un conservatisme des valeurs qui n'est incarné ni par l'UDC ni par le PLR. Mais le rôle du président du PDC n'est pas d'imposer ses vues à l'ensemble du parti. Il doit rassembler les différents courants qui s'expriment au sein du parti.

Vous en sentez-vous capable, vous qui êtes perçu comme le plus conservateur de tous les parlementaires démocrates-chrétiens ?

Je m'en sens d'autant plus capable que mes positions sont connues. Il m'appartient d'en apporter la preuve si je suis élu. Le PDC zougois n'était pas non plus une formation politique homogène. J'ai représenté les différents courants lors des campagnes électorales.

On dit pourtant que vous avez écarté les représentants du courant chrétien-social.

C'est exact et j'assume cette responsabilité. C'était une affaire difficile. Mais je dois souligner que les chrétiens-sociaux zougois ont glissé très à gauche, comme nulle part ailleurs dans le pays. A tel point qu'il n'était plus possible pour le PDC de travailler avec eux. Mais j'ai de bons contacts avec le Parti chrétien-social suisse.

Que dites-vous à ceux qui pensent que vous n'êtes pas suffisamment rassembleur pour présider le parti ?

Je leur dis : apportez votre pierre à l'édifice. Il est hors de question que le président du PDC gère son parti de manière «top down» comme c'est le cas à l'UDC. Ce parti est est dirigé comme une entreprise. Non sans succès d'ailleurs, mais l'expression y est moins libre et la diversité moins grande qu'au PDC. Permettez-moi de citer l'exemple de Genève. Notre section cantonale se porte très bien. Il n'est pas question d'en changer la ligne sous prétexte qu'on le jugerait moins conservatrice qu'ailleurs. Guillaume Barazzone et moi avons les mêmes avis pour les questions économiques mais il est plus libéral sur les sujets de société. Ce n'est pas un problème.

Vous n'êtes pas bilingue comme Christophe Darbellay. Le vice-président romand Dominique de Buman a lui aussi l'intention de se retirer. Comment comptez-vous promouvoir le PDC en Suisse romande ?

Mes connaissances de français sont scolaires. Si je suis élu, le rôle du vice-président ou de la vice-présidente romand(e) sera renforcé. J'ai entendu que Yannick Buttet pourrait être intéressé. Nous pourrions très bien travailler ensemble.

Le PDC a déjà eu des présidents de l'aile conservatrice, par exemple Carlo Schmid ou Philipp Stähelin. Mais, contrairement à Christophe Darbellay qui est resté dix ans en fonction, ils n'ont été présidents que deux ou trois ans. Cela ne vous décourage-t-il pas ?

Je suis reconnaissant à Christophe Darbellay d'avoir tenu dix ans. Je pense que si ces prédécesseurs ne sont pas restés présidents longtemps, c'est à cause de la montée de l'UDC, qui a exercé une très forte pression sur le PDC. La situation est aujourd'hui différente. Nous avons appris à vivre avec l'UDC et avons stabilisé nos positions.

Mais le PDC a continué de perdre du terrain. Comment comptez-vous inverser la tendance ?

Nous devons miser sur les jeunes. J'ai le sentiment que le PDC regagne en attractivité pour eux. On le voit dans plusieurs cantons, Zoug, Genève, le Valais ou Fribourg. Les Jeunes PDC se sont mobilisés et ont obtenu les meilleurs résultats de toutes les sections jeunes, tous partis confondus.

Quelle est la valeur du «C» du PDC ?

C'est une marque forte, un excellent «brand» comme on dit en économie. On le comprend souvent comme catholique plutôt que chrétien, ce qui est sociologiquement juste. C'est la volonté de mener une politique démocratique et chrétienne au XXIe siècle. Nous pouvons en être fiers.

On a souvent reproché au PDC de s'allier une fois avec la droite, une fois avec la gauche. Cela vous dérange-t-il ?

Est-ce vraiment le cas ?

Oui. Le PDC a signé un manifeste de politique économique commun avec le PLR et l'UDC mais s'est allié aux Vert'libéraux et à la gauche pour défendre la sortie du nucléaire, ce qui n'est pas très conservateur.

Votre remarque montre bien le problème auquel un parti centriste est confronté. On peine à l'identifier comme une force de proposition et l'on garde le sentiment qu'il se raccroche aux idées des autres pour trouver des compromis. Or, c'est le PDC qui a proposé le tournant énergétique par le biais d'une motion et la gauche s'y est ensuite raccrochée. Mais on l'associe plutôt à la gauche. Je pense que le PDC doit mieux définir ses positions et affirmer son profil plutôt que privilégier dès le départ la recherche d'un compromis. Le tournant énergétique a été pour moi un cas difficile. J'étais chef de campagne pour les élections fédérales de 2011 lorsqu'il a été décidé de déposer cette motion. J'avais un autre avis et j'ai été placé devant un fait accompli. Mais c'est du passé. L'affaire est réglée, pas question de revenir en arrière.

Prenons aussi le cas de la réforme des retraites. Au Conseil des Etats, le PDC a formé une majorité avec la gauche pour obtenir une hausse des rentes AVS alors que la droite s'y oppose. Un autre cas difficile pour vous ?

Oui. Je suis membre du comité de l'Union patronale suisse, qui est très critique envers cette décision. Je suis cependant d'avis qu'on ne peut pas réussir des réformes aussi importantes sans soutien populaire. Il faut trouver une solution équilibrée. C'est pour cela que je pense que le PDC a fait une bonne proposition au Conseil des Etats. Faut-il renoncer à cette hausse des rentes ? Je reste très prudent à ce sujet, car on courrait alors le risque d'un échec devant le peuple. J'essaie de l'expliquer aux cercles économiques.

Vous êtes un catholique convaincu et actif. Quelle place la société suisse doit-elle accorder à l'islam ?

Le PDC a été le premier parti à se préoccuper de la place de l'islam dans la société suisse. Nous avons commencé à en parler il y a plus de dix ans, lorsque Doris Leuthard était présidente. Et nous avons publié un document de fond en 2010. Le PDC a ainsi apporté une contribution importante sur ce thème. Mais nous avons sans doute manqué l'occasion de réactualiser systématiquement ce document. Aujourd'hui, on parle plus de l'interdiction des minarets et du port de la burqa que de questions autrement plus importantes.

C'est-à-dire ?

Dans les années 90, on a peut-être un peu naïvement pensé que les frictions religieuses appartenaient au passé. L'Occident découvre ou plutôt redécouvre que la religion peut être synonyme de fanatisme radical. Nous devons commencer par définir nos propres valeurs chrétiennes et occidentales et fixer les limites de ce que notre société est prête à accepter lorsqu'elles ne sont pas partagées par ceux qui arrivent chez nous. Le rapport entre la liberté religieuse et l’État de droit a été clarifié dans le monde chrétien. L'islam fondamentaliste ignore cela. La Suisse doit absolument clarifier cette question.

L'islam peut-il être compatible avec ces valeurs occidentales ?

Nous devons définir les conditions dans lesquels les musulmans peuvent pratiquer leur religion en Suisse. L'islam est très hétérogène. Le problème n'est pas la croyance, car la liberté de religion est garantie, mais plutôt les actes et les comportements. Nous devons apporter des réponses aux interrogations de la population et surtout des enseignants, qui sont les premiers confrontés à des attitudes problématiques et sont souvent livrés à eux-mêmes.

Vous pensez au port du voile à l'école et aux cours de natation.

Oui. Il faut anticiper ces questions. Lorsqu'une élève porte le voile en classe ou refuse de participer à des cours de natation, il est déjà trop tard. Mais il faut laisser les écoles agir selon leurs besoins. Il serait faux de faire comme en France et d'édicter des règles fédérales sur la manière de se comporter dans les écoles.

L'initiative sur l'interdiction de la burqa propose précisément une règle fédérale. Quelle est votre position à ce sujet ?

Par réflexe fédéraliste, je trouve gênant que l'on veuille inscrire une telle interdiction dans la Constitution fédérale par voie d'initiative populaire. L'initiative sur la minarets m'a dérangé pour la même raison. Mais le port de la burqa me gêne tout autant, car il indique quelle place on veut donner à la femme dans la société. Ce n'est clairement pas conforme à nos valeurs occidentales. C'est précisément pour cela qu'il faut en débattre. Mais je n'ai pas encore arrêté ma position.