Covid-19
En Suisse, de plus en plus de citoyens élèvent la voix pour dénoncer le climat anxiogène généré par la crise du coronavirus, sans pour autant tomber dans les extrêmes. Tentative de portrait de ces dissidents modérés

Wouter van der Lelij le précise d’emblée, il n’est ni complotiste, ni proche de l’extrême droite. Ses mots sont soigneusement choisis, la crainte d’un amalgame lui pèse. L’entrepreneur aurait d’ailleurs préféré rester dans l’ombre, conscient qu’il a «tout à perdre» dans cette démarche «casse-gueule». Mais face au climat de peur et de délation qu’il a constaté autour de lui, le Genevois d’adoption a décidé de prendre ses responsabilités et de questionner ouvertement la stratégie des autorités.
«Aujourd’hui, plus personne ne craint le virus autour de moi. Mais tous ont peur des réactions des autres ou d’être mis en quarantaine. C’est quand même hallucinant que ce soit à moi, un Hollandais d’origine sans aucune légitimité politique, de poser ces questions», s’étonne ce père de famille. Son cri du cœur trouve écho auprès du disquaire genevois Laurent Sambo, qui «se taisait et faisait le poing dans sa poche depuis des mois». Ensemble, après l’avoir écrit et réécrit, ils publient fin août un manifeste qui dénonce une «gouvernance liberticide et autoritaire» qui mène à une société «anxiogène et divisée».
Six mille signataires
Avec le recul, Wouter van der Lelij regrette le ton un peu trop alarmiste de leur texte, qu’il aurait souhaité plus rassembleur. Il n’empêche. Les interrogations restent. Les mesures imposées par le gouvernement sont-elles encore proportionnelles à la situation actuelle? N’y a-t-il pas une crise des responsabilités au sein des élites politiques? En quelques semaines, le manifeste, publié sur la plateforme Tous.ch, est signé par plus de 6000 citoyens. Des professionnels de la santé, des responsables d’entreprise, des retraités. «On a eu des médecins ou des personnes au bénéfice d’un permis C qui nous ont expressément demandé de rester anonymes par crainte de réactions négatives, c’est inquiétant», s’insurge Laurent Sambo.
«Les nouvelles sont bonnes»
«Qu’on se comprenne bien: on ne remet en question ni la gestion de crise menée à ses débuts, ni les souffrances des familles ayant perdu un proche. Ce qui nous interpelle par contre, ce sont les mesures actuelles, qui maintiennent la population dans un climat anxiogène alors que les nouvelles, heureusement, sont bonnes», tient à souligner Wouter van der Lelij. Pour les signataires, le contexte a en effet changé entre mars et septembre. Au printemps, les objectifs du semi-confinement étaient clairs: il s’agissait d’infléchir à tout prix la courbe des infections pour éviter une surcharge du système hospitalier. Or, depuis que les cantons ont récupéré leur souveraineté, les signaux sont contradictoires et le manque de perspectives d’une sortie de crise déroute.
A cela s’ajoute le paradoxe des chiffres. Au cœur de la crise, l’indicateur du nombre de décès servait de facteur clé pour mesurer la gravité de l’épidémie. Désormais, alors que les taux d’hospitalisations et de décès restent relativement faibles, on scrute le nombre de nouveaux cas positifs. De quoi renforcer le scepticisme de ces citoyens, qui peinent à comprendre les directives des autorités, d’autant que la seconde vague n’a toujours pas atteint la Suisse.
«Peut-on encore parler de crise sanitaire majeure pour quelques dizaines de décès par mois? A titre de comparaison, on dénombre chaque mois plus de 5000 décès en Suisse. Ces quatre derniers mois, il y a eu dix fois moins de victimes que lors des deux premiers mois de l’épidémie, pourtant la peur est identique», s’interroge un autre ambassadeur du manifeste, Charly Pache.
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Dommages collatéraux
Surtout, les signataires craignent que le remède ne soit pire que le mal et que les mesures n’entraînent des conséquences tragiques pour la santé mentale de la population. «S’il est évidemment louable de vouloir protéger les plus vulnérables, il faut aussi s’interroger sur les effets indirects générés par ce climat anxiogène, notamment le nombre de suicides ou les séquelles psychologiques et sociales pour les enfants», argue Charly Pache.
Dans son cabinet de Bonfol, le généraliste Olivier Gérin abonde dans le même sens et dénonce cette «politique de la peur». Privilégiant une approche holistique de la médecine, le Franco-Suisse reçoit régulièrement des patients qui souffrent de la situation actuelle. «Ce contexte de peur généralisée provoque chez eux une dépression du système immunitaire. C’est complètement contre-productif puisque cela augmente les chances de tomber malade», affirme-t-il.
Récemment, le médecin a lancé une pétition pour faire cesser le «port abusif» du masque dans le Jura. Pour lui, cette mesure, la plus ostentatoire de toutes, n’est qu’un moyen pour les autorités de maintenir les citoyens dans l’insécurité pour faciliter ensuite l’imposition d’un vaccin. «Au plus fort de la crise, le port du masque n’était pas recommandé, alors que maintenant oui. On est en droit de se poser la question: pourquoi maintenant?»
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Scepticisme supra-régional
D’un côté comme de l’autre de la Sarine, cette frange modérée de dissidents a longtemps préféré rester silencieuse, le terrain des revendications étant majoritairement occupé par des adeptes des théories du complot, des sympathisants de QAnon (mouvement conspirationniste pro-Trump) ou encore des extrémistes de tous bords politiques. Mais depuis quelques semaines, on assiste à un réveil de ces opinions divergentes qui invitent à se poser les «vraies questions».
Lors de la dernière manifestation anti-masque à Zurich, plusieurs stars bien connues du public alémanique se sont relayées sur scène, à l’instar du comédien Marco Rima, du satiriste Andreas Thiel ou encore d’un ancien présentateur de l’émission de débat Arena (l’équivalent alémanique de l’émission Infrarouge), Reto Brennwald. Tous trois se sont dit effarés de constater qu’il n’était plus permis d’exprimer un avis différent sans être traité de fou.
«J’adore mon pays. On a le meilleur système démocratique au monde. Un des éléments de cette démocratie, c’est de pouvoir dire ce qu’on pense. Il est nécessaire de débattre publiquement de ces questions», a scandé sur la scène Reto Brennwald, profitant au passage de faire de la publicité pour le documentaire qu’il est sur le point d’achever. Unerhört! («Scandaleux!») doit servir de contrepoint à un traitement médiatique jugé, de part et d’autre du Röstigraben, trop unilatéral et trop peu critique.
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