On monte le «ring» chaque année pour le premier week-end de mai, au nom d'une tradition vieille d'au moins sept siècles. «C'est tout simplement cool! Ici tout le monde veut garder cette grande fête.» A 19 ans, Pia Lütschg, rencontrée sur la Zaunplatz de Glaris, défend avec vigueur la Landsgemeinde. «Aussi parce que c'est devenu un argument touristique.» Le soleil d'avril est radieux. Glaris surchauffe, encaissée entre des pentes abruptes et étirée sur les rives de la Linth.
Métamorphose démocratique
La Zaunplatz, au cœur de la petite capitale, est recouverte d'automobiles. Dans une semaine, elle sera métamorphosée, noircie par les quelque 8000 citoyens qui se déplacent généralement. Le «ring» est installé au centre de la place, dominé par le bâtiment bicentenaire de l'Ecole professionnelle. De ce podium devenu symbole de la démocratie directe émanent parfois de grandes surprises.
Le dimanche 6 mai, les électeurs de ce canton d'ordinaire invisible pourraient bousculer les esprits. Ils répondront à main levée à une question qui n'a encore jamais été posée en Suisse: faut-il accorder le droit de vote (mais pas celui d'éligibilité) dès 16 ans? Autoriser les adolescents à se prononcer sur des sujets cantonaux soumis au peuple?
Le gouvernement a donné son aval à la proposition émanant de la Jeunesse socialiste (JUSO). Mais la demande a de quoi surprendre à une époque où les études se succèdent pour documenter un désintérêt de la chose politique. «Nous voulons cultiver leur goût pour les affaires publiques. Ils sont capables à cet âge de comprendre les cadres sociaux et politiques, d'articuler leurs besoins. Il faut leur faire confiance», juge Marianne Dürst, conseillère d'Etat radicale responsable de l'Intérieur.
Freiner l'exode des jeunes
Glaris est un minuscule canton de 38098 habitants. Trop proche de Zurich pour ne pas être à son ombre, trop lointain pour appartenir à la métropole. Ces dernières années, un seul mot d'ordre: «Faire des économies.» La situation économique a au mieux stagné et l'industrie, autrefois moteur de son développement, accuse une sévère perte de vitesse. De 1997 à 2004, le nombre d'entreprises a passé de 2096 à 1969. L'exode des jeunes s'est accru en conséquence.
Glaris fait partie des trois cantons auxquels l'Office de la statistique prédit une baisse de la population d'ici à 2030 (-5%). Un cadre bucolique, mais le risque de devenir une île étroite sans promesse. Marianne Dürst continue: «Nous ne voulons pas retenir ces jeunes, les empêcher de trouver leurs marques ailleurs. Ce que nous pouvons faire, c'est cultiver un lien, faire en sorte qu'ils reviennent une fois leur carrière lancée.» Ou qu'ils se transforment en pendulaires.
Tourisme politique
Or, la Landsgemeinde est l'un des charmes de Glaris qui opère, si l'on se fie aux ados rencontrés. Le canton est le dernier, avec Appenzell Rhodes-Intérieures, à réunir ses citoyens sur la place centrale pour un vote à bulletin levé. Originalité glaronaise: chacun peut intervenir sur le ring durant cette matinée dominicale, pour proposer une modification des projets de loi en discussion.
L'histoire a déjà vu ce bout de terre endosser le rôle de pionnier. Au XIXe siècle, Glaris introduisait la première loi sur les fabriques et la première AVS cantonale. Plus récemment, la Landsgemeinde de 2006 a provoqué une petite révolution. Les citoyens ont réduit d'un coup le nombre de communes de 25 à trois. Motivés par un orateur enflammé, ils n'ont pas craint de dépasser le gouvernement, qui plaidait, lui, pour dix communes.
Un homme dès 14 ans
Marianne Dürst y voit une motivation supplémentaire pour le vote à 16 ans. «On apprend très vite à vivre avec des opinions différentes partagées sur la place publique. Les enfants assistent aux débats aux premières loges, installés au pied de la tribune.» Dans l'histoire de la Landsgemeinde cantonale, le droit de vote à 16 ans n'est d'ailleurs pas une première. Il est dans les us entre 1612 et 1837, date de la Constitution cantonale. Au XVIe siècle, les garçons ont même le droit de s'exprimer dès leur quatorzième anniversaire. La peste, les maladies et les carences de nourriture ont décimé la population. Il faut renforcer l'électorat.
Avec le bouche-à-oreille
Pour le rendez-vous de dimanche prochain, les affiches de campagne sont invisibles. Le bouche-à-oreille est roi entre les ruelles étroites et les commerces où tout le monde se connaît.
Certains jeunes craignent d'être influencés lors des discours de la Landsgemeinde, juge Peter Aebli, le directeur du collège cantonal, qui accueille quelque 450 élèves. Le thème recueille des critiques dans son établissement. Beaucoup d'étudiants dénoncent un manque de maturité pour cette démarche civique. L'an dernier, l'un d'entre eux a effectué comme travail de fin d'études un sondage: deux tiers des 573 jeunes interrogés (entre 11 et 20 ans) ont déclaré s'intéresser «modérément» ou «pas du tout» à la chose politique. 44% d'entre eux ont malgré tout soutenu un droit de vote dès 16 ans.
Une méprise de l'UDC?
De son côté, le Landrat, le parlement à majorité bourgeoise, s'est prononcé contre ce projet, sceptique quant à l'intérêt et l'expérience de vie des adolescents. L'UDC, principale force politique, s'est engagé pour un «non», invoquant le fait qu'à 16 ans on ne paie pas d'impôts. Pourtant, et plusieurs témoins le soulignent, le parti de droite pourrait en cas de «oui» engranger des forces supplémentaires. A Glaris nombre de jeunes rejoignent ses positions, notamment face aux étrangers.
«C'est parfois devenu un effet de mode que d'afficher une volonté de rejet face à l'étranger. Une scène d'extrême droite a trouvé des appuis chez les adolescents», observe Darko Cetojevic, journaliste à Glaris de la Südostschweiz. «C'est peut-être aussi le résultat de l'ennui et de la morosité dans certaines régions de la campagne. Le droit de vote à 16 ans n'apporterait peut-être rien d'effectif, mais pourrait diffuser un signal positif loin à la ronde.»