Gorbatchev, nostalgie genevoise
GENEVE
En 1985, Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan se rencontraient à Genève. Ce sommet a contribué à la fin de la Guerre froide. Vingt ans plus tard, l'ex-président soviétique est de retour.
Au dix-huitième étage de l'Intercontinental, dans une salle où Genève s'offre en panorama, son ancien interprète, Pavel Palashenko veille au grain. A 74 ans, Mikhaïl Gorbatchev, toujours alerte et caustique, expose à une poignée de journalistes sa vision revisitée du monde.
Il y a vingt ans
Ces jours, l'ancien secrétaire général du Parti communiste et ex-président de l'Union soviétique, est de passage à Genève. Avec un peu d'avance, il est venu commémorer l'un des sommets américano-soviétiques qui a bouleversé les relations entre Moscou et Washington, et contribué au processus menant à la fin de la Guerre froide. C'était il y a vingt ans.
A Genève, en 1985, Mikhaïl Gorbatchev avait rencontré le président américain Ronald Reagan, afin d'entamer des pourparlers sur la réduction de l'arsenal nucléaire mondial. Un événement diplomatique d'autant plus important que cela faisait sept ans que les chefs des deux puissances ne s'étaient plus serré la main.
Une pensée pour l'Europe
Aujourd'hui, Mikhaïl Gorbatchev est plus détendu, mais il n'en garde pas moins un regard aigu sur le monde qui l'entoure. Le vote français de dimanche sur la nouvelle Constitution européenne ne l'a pas laissé indifférent.
«J'ai un énorme respect pour les Français. Ils n'ont pas voté contre l'Europe, mais contre leur gouvernement national. Il faut tirer les leçons de ce vote démocratique, mais en aucun cas paniquer. Il faut continuer à travailler. Le reste du monde a besoin d'une Europe unie. Le processus de construction va continuer.»
L'ex-Prix Nobel de la paix met toutefois en garde contre l'ethnocentrisme occidental: «Les Américains ou les Européens de l'Ouest ont parfois des réactions très négatives, même physiques à l'égard des pays de l'Est européen. Des pays comme la Biélorussie ou l'Ukraine méritent d'être considérés comme des partenaires de l'Union européenne.»
Russie et démocratie
Sur la Russie actuelle, Mikhaïl Gorbatchev est intarissable. Il s'étonne qu'on s'émerveille de la démocratisation d'un Etat comme la Lettonie «où près de 30% de la population (ndlr: russophone) n'a pas droit à la nationalité», et qu'on accable la Russie de tous les maux.
Pour le président de la Croix-Verte internationale, il ne faut pas oublier que son pays recouvre un énorme territoire, dominé pendant des siècles par les Tatares et soumis au joug du totalitarisme communiste pendant septante ans. «Aujourd'hui, tous les gens veulent un pays démocratique et libre. La Russie est en train d'entreprendre des réformes difficiles. Des récidives autoritaires ne sont pas exclues, c'est vrai, mais je reste convaincu que Poutine adhère à la démocratie et que le totalitarisme lui est inacceptable.»
Les occasions manquées
Vingt ans après le sommet de Genève, l'ancien leader soviétique ne cache pas son amertume. A ses yeux, les chances de construire un nouvel ordre mondial digne de ce nom n'ont pas été vraiment saisies. Mikhaïl Gorbatchev regrette que les Etats-Unis, où il vient de passer deux semaines, aient profité de la fin de l'Union soviétique pour imposer leur vision. Cela a eu pour conséquence une marginalisation de l'ONU, du droit international et un mépris de l'opinion publique internationale. «Cette attitude risque de transformer le monde en jungle. De plus, le processus de mondialisation a besoin d'être mieux contrôlé. Pour l'instant, il est chaotique et plus destructeur qu'autre chose.»
Hier à Genève, Mikhaïl Gorbatchev s'est dit déçu de la perte de l'esprit qui régnait à la fin des années 1980: «Tous les politiques qui ont vécu la Guerre froide sont partis.»
Débat public avec Mikhaïl Gorbatchev, Alexander Bessmertnikh, Robert McFarlane, Jack Matlock, Edouard Brunner et Marshall Goldman à Uni Mail, mardi 31 mai, 20 h, salle MR 380