Un froid sibérien devrait paralyser la Suisse cette semaine avec des températures maximales flirtant avec les -10 degrés. Les températures atteindront des extrêmes négatifs entre jeudi et samedi et pourraient causer bien des soucis à la population.

Les voiries sur les dents

A Lausanne, la voirie a été efficace. Toutes les routes ont encore été salées mardi soir et mercredi matin et, selon Jean-Daniel Crottaz, responsable de l’unité de transport de la ville, la moitié d’entre elles étaient déjà sèches mercredi à 8h00. «Nous avons encore des stocks de sel, dit-il. Nous n’avons dû saler les routes que pour la 25e fois de l’hiver mardi, alors que nous faisons souvent entre 80 et 90 passages par année» Pour faire face au froid polaire, le sel ne suffit plus et la ville recourt à un mélange de sel et de calcium. La mixture ne gèle qu’à partir de -10 ou -12 degrés. Si des précipitations retombaient en fin de semaine, il ne resterait plus que le gravier pour sécuriser les chaussées.

A Genève, on est sur les dents mercredi depuis 4h du matin. Les équipes s’activent en particulier sur les trottoirs et les chemins piétonniers et trois camions se concentrent sur les grands axes stratégiques. «La priorité va aux routes principales et aux voies de bus, qui servent également pour les urgences», explique Pierre Laudat, chef du service voirie-ville propre. Mercredi est le dernier moment pour évacuer la neige avant les gelées et la ville a recruté parmi ses chauffeurs et les services voisins. De 150 à 200 personnes s’activent à pied durant toute la journée pour évacuer la neige restante et casser la glace. Des véhicules plus petits tentent de dégager les axes secondaires qui n’ont pas encore été dégagés la veille. «On fait notre maximum, mais on est inquiet, dit Pierre Laudat, là où la glace a déjà gelé, les lames de nos camions ne sont plus efficaces.»

Si Lausanne déclare utiliser un mélange de calcium, la voirie de Genève dit avoir dû abandonner ce mélange interdit en Suisse pour des raisons écologiques. «On peut encore en épandre des petites quantités à la main pour les arrêts de bus par exemple, mais on n’a plus le droit de l’utiliser dans les camions», explique Pierre Laudat.

Les sans-abri en danger

Le froid polaire représente un grand danger pour les sans-abri. Du 1er au 8 février, la ville de Genève ouvrira un nouvel abri de la protection civile pour faire passer la capacité d’accueil de 200 à 280 places. «Notre dispositif actuel est complet, explique Philippe Bossy, adjoint de direction au Service social. Nous devons donc prendre des mesures complémentaires qui seront prolongées si le grand froid perdure. Nous allons également renforcer les rondes de nuit. Les personnes les plus vulnérables sont celles qui souffrent de maladies psychiques. Nous avons mis en place des procédures pour les amener à l’abri le soir, les équiper et leur proposer de se sustenter. Mais si elles ne veulent vraiment pas rester, nous ne pouvons pas les garder de force.»

Il n’y aura aucun quota du nombre de nuits autorisées durant cette période. L’Armée du Salut, de même que les centres de jour renforcent également leur dispositif.

La ville de Lausanne a également pris des mesures mercredi matin, faisant passer sa capacité d’hébergement de 100 à 145 places. Les hébergements d’urgence lausannois refusent chaque soir de nombreuses personnes en temps normal selon le service social. Des centres supplémentaires ne seront pas ouverts, mais les usagers devront se serrer dans les structures existantes, quitte à dormir sur des matelas posés sur le sol. La Ville de Lausanne a rappelé qu’elle donne la priorité aux sans-abris d’ici, puis aux enfants, aux femmes avec enfants et enfin aux personnes âgées ou malades.

Les pompiers prêts à intervenir

Le capitaine Schumacher, des pompiers de la ville de Genève, ne prévoit pas de mesures particulières: «Mais nous sommes particulièrement vigilants et nous analysons l’évolution de la météo.» Son principal souci est le risque d’inondations provoqué par l’explosion des canalisations. «Nous prenons aussi des mesures particulières pour le personnel. Par exemple, pour relayer plus vite les pompiers qui sont très rapidement trempés quand ils luttent contre un incendie.»

L’approvisionnement électrique assuré

Cette vague de froid ne devrait pas causer de problèmes d’approvisionnement en eau, gaz ou en électricité. Les Services industriels genevois ne prévoient pas de mesures exceptionnelles. Seul le secteur du chauffage thermique a prévu de doubler son équipe de piquet pour faire face à d’éventuels accidents.

Côté inondations, le risque vient des 250 kilomètres de réseaux encore équipés de fonte grise, un matériau d’ancienne génération qui peut casser en cas de changement de la température du liquide. Or, un froid extrême et une forte bise, des conditions annoncées pour vendredi, peuvent entraîner un refroidissement de l’eau du lac de 5 ou 6 degrés à l’endroit où elle est pompée, par environ 40 mètres de fond. «Si les conduits sont endommagés, cela peut produire des images assez spectaculaires, comme un petit jet d’eau ou l’inondation d’une cave, mais nous pouvons facilement isoler le secteur et envoyer une équipe effectuer la réparation sans que cela implique de couper l’eau dans les foyers», tempère Isabelle Dupont, porte-parole de SIG.

Les radiateurs électriques sont interdits à Genève et la hausse de la demande en électricité ne devrait pas être excessive. Ils sont globalement rares en zone urbaine. A la Romande énergie, qui fournit une bonne partie du canton de Vaud, on s’attend à une hausse de la demande de 12% par rapport à la semaine précédente. Le surplus est acheté sur le marché de l’électricité. «Quand la demande comporte des pointes, comme cette semaine, le différentiel vient de Suisse», dit Jean-Yves Pidoux, des Services industriels de Lausanne. «Nous ne devrions pas avoir de problème d’approvisionnement avec la France et l’Allemagne, mais les prix peuvent augmenter. Cela dit, c’est le problème du fournisseur, pas des clients. Nous ne répercuterons pas cette augmentation sur les factures.»

Un scénario glacial

«Des vents du nord-est entraînent en Europe les courants d’air glacés de l’anticyclone russe, et des dépressions sur la Méditerranée et la mer Noire facilitent leur passage», décrit Philippe Jeanneret, prévisionniste à la TSR. «Même si deux situations ne sont jamais identiques, les vagues de froid se déroulent toujours d’après ce scénario sous nos latitudes, comme en janvier 1987, quand un record avait été mesuré à la Brévine avec -41,8°. Et sans doute comme à l’hiver 1708, considéré comme le plus froid de la chrétienté, durant lequel tous les lacs d’Europe auraient gelé.»

Selon Philippe Jeanneret, il est possible que le record de janvier 1987 soit battu cette semaine. «Il faisait alors entre -20 et -22° à 1500 mètres, et samedi, on ne devrait pas en être loin, avec -19°», remarque-t-il. La situation est rare, extrême. Sous nos latitudes, il peut difficilement faire plus froid. Il est hasardeux d’estimer la durée de ce phénomène.

En 1987, les Services industriels genevois avaient dû faire face à une consommation électrique record et la France avait connu des pannes de courant massives. A Paris, des stations de métro étaient restées ouvertes pour permettre aux clochards de s’abriter. C’était alors surtout les chutes de neige qui avaient posé problème, plus que les températures polaires. Un article de Reuters datant du 17 janvier 1987 évoquait plus de 200 morts à travers l’Europe. La Suisse romande est-elle armée pour affronter la situation?