«Fuck You Greta». Pour 3 euros, l’autocollant pouvait s’acheter sur Amazon jusqu’au mois dernier. A coller – selon l’image explicative – au-dessus du pot d’échappement de sa voiture. Désormais retiré des rayons du distributeur américain, le sticker a ressurgi sur d’autres plateformes. Le nombre d’ennemis de la jeune Suédoise est en effet loin de se tarir, bien au contraire.

Adulée par certains, Greta Thunberg est également honnie – par des anonymes, mais pas seulement. Politiciens, philosophes, internautes de tout type, beaucoup ne goûtent pas aux propos de l’adolescente, qu’ils disent «manipulée», «catastrophiste», «financée par les lobbys», «arrogante» ou encore «donneuse de leçons» – sans oublier d’autres pépites vulgaires. Pourquoi tant de haine?

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La favorite intrigante, la femme-homme et la régente

L’explication est à la fois sociétale et idéologique, explique Sébastien Salerno, professeur en sociologie de la communication à l’Université de Genève. A commencer par son genre: «Ce que l’on entend sur Greta Thunberg, dit-il, c’est ce que l’on dit des femmes en politique.» Pas sûr qu’un jeune homme aurait suscité les mêmes qualificatifs, confie le chercheur, qui explique cette virulence en évoquant trois figures stéréotypiques attribuées aux politiciennes dans le monde entier.

«Il y a «la favorite intrigante», dit-il, qui doit sa position à des compétences autres que techniques et serait manipulée ou devrait son ascension aux hommes. «La femme homme», à laquelle on enlève tous les attributs «classiques» des femmes: une personne qui ne montre, par exemple, que peu d’émotion ou n’a pas d’enfants – je pense à Margaret Thatcher, ou, en Suisse, à Karin Keller-Sutter. Et, enfin, «la régente», qui détient le pouvoir de manière temporaire pour assurer une transition en attendant l’arrivée d’un homme.»

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Jeune et fière de l’être

Greta Thunberg ne rentre dans aucune de ces catégories, souligne le chercheur. «Mais il lui est reproché des traits que l’on retrouve dans chacune d’elles.» Vu à travers ce prisme, la haine soulevée par la Suédoise n’est en fait qu’une réaction machiste tout ce qu’il y a de plus traditionnelle. Celle-ci est toutefois renforcée par un deuxième élément: son âge.

«Impossible d’accepter qu’une personne aussi jeune puisse tenir un propos articulé», résume Sébastien Salerno. Ces deux particularités le sont d’ailleurs quel que soit le bord politique, souligne le chercheur, qui rappelle que «même au sein des mouvements contestataires, les principales figures sont généralement des hommes adultes».

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La principale intéressée n’essaie en outre pas de masquer qui elle est, apparaissant devant toute la presse internationale chaussée de bottines colorées, sa veste nouée autour de la taille. «Elle est jeune et porte des vêtements de son âge, souligne le chargé de cours. Elle représente ainsi la jeunesse de manière franche, ce qui lui confère un potentiel d’identification très large. Chez ses contemporaines comme chez leurs parents, qui y voient leur propre enfant.» Les détracteurs de la Suédoise ne l’entendent évidemment pas de cette oreille.

Montrer le feu

C’est là qu’intervient un deuxième élément de réponse à la question initiale, plus évident: tout le monde n’est pas d’accord avec ce qu’elle dit. «Beaucoup de gens ont de la difficulté à accepter les conclusions du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)», avance Sébastien Salerno. Et Greta Thunberg les matraque à longueur de journée. C’est même la principale mission revendiquée par la Nordique, qui se voit avant tout, dit-elle, comme une «messagère qui montre le feu du doigt».

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Et là encore, le phénomène Thunberg est unique, rappelle le chercheur: «Qu’une femme, très jeune et plutôt seule, figure au centre de l’attention médiatique et politico-scientifique, c’est du jamais vu. Elle a mobilisé des étudiants dans le monde entier. Combien de fois est-ce déjà arrivé? D’autant que Greta Thunberg n’est pas une victime, au contraire. Elle ne retourne pas seulement des stigmates contre ses agresseurs, comme on a pu le voir dans le mouvement #MeToo. Elle défend une cause. Elle est actrice.»

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Tuer le messager

Aux côtés de la Suédoise en début de semaine, le Nobel de chimie vaudois Jacques Dubochet avance un dernier argument: elle est pratique. «Nous sommes face à un problème gigantesque et tout ce que j’entends ce sont des critiques à l’encontre de Greta Thunberg. C’est évidemment plus facile de détourner l’attention sur elle que de se confronter aux difficultés actuelles. C’était la même chose en 2006, quand Al Gore a présenté An Inconvenient Truth (film qui alertait sur le réchauffement climatique).» Les porteurs de mauvaises nouvelles, conclut le scientifique, «on les tue».