Genève
La gauche combat avec un référendum l’encadrement réduit voulu par la droite. Décryptage des intérêts en jeu

Guerre des crèches, guerre des chiffres
Genève La gauche combat parun référendum l’encadrement réduit voulu par la droite
Décryptage des intérêts en jeu
A Genève, un enfant sur dix, âgé de moins de 4 ans, ne trouve pas de place dans une crèche selon les estimations des autorités de la Ville. Il faudra les croire sur parole, en l’absence d’enquête et de statistique précise. Ces dernières estiment qu’il manque «entre 2000 et 3000 places» pour combler la demande des parents. En comparaison, 1300 requêtes n’étaient pas satisfaites dans le canton de Vaud en septembre 2012, avait calculé l’Institut de hautes études en administration publique (Idheap). Cette pénurie contraint les parents à basculer vers des systèmes alternatifs, comme faire appel à des voisins, à d’autres mamans qui se partagent les gardes. Les grands-parents sont sollicités, quand ce ne sont pas des mamans de jour agréées ou non, parfois en charge d’une dizaine d’enfants. Pour d’autres, c’est le favoritisme qui leur permet d’obtenir une place de crèche.
Pour y remédier et dégager des places supplémentaires, la droite, majoritaire au Grand Conseil genevois, a décidé en mai 2013 d’assouplir les normes d’encadrement pédagogique dans les 181 institutions que compte le canton. Deux moyens pour y parvenir: réduire le ratio entre personnel éducatif et enfants, diminuer les charges salariales des institutions en abaissant la proportion de personnel diplômé. Ces économies doivent permettre aux collectivités d’investir dans le développement d’autres institutions, selon les souhaits d’une majorité du parlement.
Si cette baisse des charges n’a pas été contestée dans un premier temps, la diminution du taux d’encadrement a, quant à elle, réveillé les ardeurs de la corporation de la petite enfance, soutenue par l’Alternative genevoise (PS, Verts, Ensemble à gauche) et les syndicats. En réunissant 28 000 paraphes (contre 7000 requises), la coalition référendaire a démontré la force de son opposition à une loi qui vise «à faire des économies sur le dos des enfants», à «transformer les crèches en garderies», et qui, de surcroît, «ne créera aucune nouvelle place de crèche». Entre partisans d’une loi jugée indolore et référendaires alarmistes, les arguments ont fusé, tout autant que les contre-vérités.
Avec un adulte pour 10 enfants âgés entre 3 et 4 ans, Genève affiche un taux d’encadrement parmi les moins élevés de Suisse (voir infographie). Si la nouvelle loi venait à être acceptée le 9 février (soit un adulte pour 13 enfants), le canton obtiendrait la dernière place du classement. «C’est exact, mais l’actuel règlement sur les structures d’accueil de la petite enfance octroie déjà des dérogations pouvant aller jusqu’à un adulte pour 12 enfants», nuance Stéphane Florey. Le député UDC veut faire de l’exception la règle, pour permettre de dégager près de 362 places supplémentaires.
Les référendaires critiquent ce chiffre issu du Département de l’instruction publique obtenu par l’ajout de deux places supplémentaires par établissement. «Les normes intercantonales imposent une surface minimale de 3 mètres par enfant. Pour accueillir plus de monde, il faudra soit repousser les murs, soit supprimer du mobilier», martèlent les opposants.
«Nous n’avons jamais prétendu que ces 362 places allaient mettre immédiatement fin à la pénurie, justifie Nathalie Fontanet, députée libérale-radicale au Grand Conseil et rapporteuse de majorité. Mais en multipliant ces efforts, y compris dans les nouvelles constructions, la démarche ne s’avère plus anecdotique. Il ne s’agit pas d’entasser les enfants. Mais si cela peut éviter à certains parents, faute de place, de devoir confier leur progéniture à une adolescente de 16 ans, la réforme est alors capitale.»
Un point que tous les protagonistes partagent: les crèches genevoises sont les plus onéreuses de Suisse. Selon l’étude comparative réalisée en avril 2008 par la société Amalthée pour le compte de la banque Lombard Odier, le coût moyen d’une place de crèche calculé sur la base de huit cantons (VS, NE, BE, JU, VD, FR, GE, ZH) approche les 30 000 francs. Près de 38 500 francs pour Genève. Cette différence s’explique essentiellement par les conditions-cadres du marché dans le canton. La durée du travail hebdomadaire «auprès des enfants» est inférieure (35 heures contre 40 heures en moyenne); les vacances plus longues (7 semaines contre 4,5); le salaire plus élevé de 25%, les qualifications plus hautes (66% de personnel diplômé contre 41%).
Trop cher? Manuel Tornare, ancien responsable de la petite enfance en Ville de Genève, le réfute. «La politique, c’est choisir ses priorités. Il ne faut pas me dire que l’une des villes les plus riches du monde ne peut pas investir dans ses crèches.» Et le conseiller national socialiste d’ajouter: «Le jour où il y aura des problèmes, la droite sera la première à vouloir augmenter le taux d’encadrement.» «Dans un contexte budgétaire difficile pour le canton, toutes les économies doivent être réalisées», rétorque Nathalie Fontanet.
Syndicats et gouvernement genevois avaient pourtant conclu un accord en juin 2012, visant à abaisser les coûts de fonctionnement des crèches. Alors que 66% du personnel doit être diplômé aujourd’hui, ce pourcentage avait été ramené à 50%, auquel il fallait ajouter 30% de collaborateurs titulaires d’un CFC et 20% d’auxiliaires. Ce point pose problème aux responsables de crèche. «En figeant à 50% la proportion de personnel diplômé, on ne pourra pas dépasser ce taux», déplore Cornelia Cuniberti, directrice de la crèche des Morillons.
Les crèches genevoises sont les plus chères de Suisse: la place y coûte 38 500 francs par an