Le contraste est saisissant. En Suisse, Hervé Falciani figure toujours sous mandat d’arrêt. Il est au mieux considéré comme un voleur. Le Ministère public de la Confédération (MPC) va finaliser son instruction, au terme d’une enquête ouverte en 2008 pour présomption de service de renseignements économiques, de soustraction de données, ainsi que pour soupçon de violation du secret commercial et bancaire. Un acte d’accusation sera établi et l’ancien informaticien de la banque HSBC devrait être «renvoyé devant le tribunal pour jugement», selon le MPC. Rien n’indique à ce stade que, comme l’espérait récemment son avocat, William Bourdon, sollicité par Le Temps, la Suisse mette fin aux poursuites à son encontre.

A Paris, Hervé Falciani fait l’objet d’un traitement tout autre. A l’origine de la liste des 3000 évadés fiscaux brandie par l’ex-ministre du Budget Eric Woerth, l’ancien salarié de HSBC vient de faire son retour, après avoir collaboré avec la justice et le fisc espagnols. Il dispose d’une protection policière de haut niveau, garantie par le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls. Il est reçu au Palais-Bourbon par des parlementaires. Comme les ex-salariés d’autres banques, l’ex-collaborateur de la filiale genevoise de HSBC est vu à la fois comme un lanceur d’alerte et un héros de la lutte contre l’évasion fiscale.

C’est vers 2008 qu’Hervé Falciani a dérobé, à Genève, des fichiers cryptés de clients de HSBC. Il s’est ensuite réfugié en France, où la justice française a saisi en 2009 les données volées, à la suite d’une commission rogatoire internationale. Mais la France n’avait pas immédiatement rendu les fichiers à la Suisse. Dans un premier temps, 8000 noms en avaient été extraits, avant que la liste ne soit ramenée à 3000 par Bercy. Après plus d’une année, quand la Suisse a enfin reçu les données, la police judiciaire fédérale avait accusé Paris de les avoir modifiées.

Accompagné de William Bourdon, vêtu d’un élégant costume, Hervé Falciani a été auditionné à huis clos quatre heures et demie durant, mardi matin, à l’Assemblée nationale. Les deux premières heures, il a été interrogé par Christian Eckert, le rapporteur du budget, qui prépare un rapport sur le fonctionnement de l’administration fiscale et l’exploitation qu’elle a faite des fichiers HSBC; le socialiste a ensuite été rejoint par Yann Galut et Sandrine Mazetier, rapporteurs du projet de loi contre la fraude et l’évasion fiscales. «C’était un témoignage poignant», confie Yann Galut. «Il nous a dit: «J’ai la rage! Après ce que j’ai subi, j’irai jusqu’au bout de ma démarche.»

Oublié l’épisode trouble du Liban, lorsque Hervé Falciani fut soupçonné d’avoir voulu vendre les données à des banques. Aujour­d’hui, les députés jugent les propos de l’informaticien «totalement crédibles»: «Il n’y a pas que la France qui travaille avec lui. Avant nous, il y a eu l’Italie, l’Espagne et les Etats-Unis, et la collaboration a débouché sur des résultats», réplique Yann Galut, avant de préciser: «Ses propos sont très structurés, sa démonstration est d’une précision chirurgicale.» Selon le député, Hervé Falciani ne serait pas seul: il serait «le porte-parole de gens révoltés par les méthodes d’une banque qui a organisé le pillage de l’épargne de pays tiers vers la Suisse».

«Le voile commence à se lever sur le fond. Je suis optimiste»: l’ancien employé de HSBC n’a fait qu’une brève déclaration à l’issue de son audition. Mais il a été très prolixe devant les parlementaires, à qui il a expliqué, rapporte Yann Galut, des mécanismes démontrant «une volonté générale de la banque de pratiquer de manière industrielle, massive, coordonnée et organisée, la fraude fiscale internationale. Ceci en s’appuyant sur la maison mère [basée à Londres, ndlr], la filiale à Genève, la City de Londres et l’Inde. Il nous a parlé d’une volonté de compartimenter et de déstructurer les choses pour que les administrations fiscales ne puissent pas remonter à la source.» «Nous n’en sommes plus à obtenir des listes et à chercher des noms, ajoute Christian Eckert. Il faut décortiquer les montages complexes, les systèmes de compensation, les trusts, les montages opaques, les intermédiaires financiers.» Les Etats, aurait démontré Hervé Falciani, «ne sont pas assez armés pour faire face, que ce soit en moyens humains, informatiques ou technologiques».

Les députés se posent aussi plusieurs questions: pourquoi la justice française n’a-t-elle pas enquêté davantage à partir de 2009, lorsque les données lui ont été transmises? «Cette lenteur nous interpelle», lance Yann Galut. Une information judiciaire n’a été ouverte que le 23 avril dernier, notamment pour «blanchiment de fraude fiscale en bande organisée». Hervé Falciani a déjà été entendu. Les interrogations prennent un tour plus politique encore s’agissant du fonctionnement de l’administration fiscale: «Je m’interroge, poursuit le député, sur la gestion de l’affaire par le gouvernement précédent.»

«Après ce que j’ai subi, j’irai jusqu’au bout de ma démarche»