Coronavirus
Face au coronavirus, les établissements ne sont aujourd’hui pas saturés. Ils se préparent au pire en espérant que la digue qu’ils ont érigée pourra contenir la vague de l’épidémie lorsqu’elle atteindra son pic

C’est le scénario catastrophe qu’esquisse Philippe Eggimann, le président de la Société médicale de Suisse romande. Si la courbe des cas de coronavirus suit celle de l’Italie, ce qui n’est pas exclu, la Suisse pourrait compter de 15 000 à 20 000 patients atteints du coronavirus d’ici une semaine, voire dix jours. La plupart seraient pris en charge à domicile par leur médecin traitant, mais il faudrait en hospitaliser 20%, soit de 3000 à 4000, dont près de 2000 nécessitant une assistance respiratoire.
La Suisse est-elle prête face à cette crise? Disposera-t-elle de ces 2000 lits de soins intensifs à court terme? A ce sujet, les données les plus crédibles sont celles de la Société suisse de médecine intensive (SSMI). Selon celle-ci, la Suisse compte 82 unités de soins intensifs certifiées, où l’on recense – au début de ce mois de mars – entre 950 et 1000 lits, dont la plupart, soit 800 à 850, sont équipés de respirateurs. Cette capacité est en train d’être considérablement augmentée en recourant aux locaux non exploités actuellement et aux blocs opératoires libérés des interventions planifiées qui conviennent également pour la ventilation mécanique. De plus, il y a actuellement 400 à 450 lits dans les «unités de soins intermédiaires», qui elles permettent des soins intensifs plus légers, pour prendre en charge les autres patients.
Le Temps a sondé tous les cantons romands pour connaître leurs propres capacités dans les hôpitaux publics. Surchargés de travail, certains d’entre eux n’ont pas répondu. Genève fait savoir qu’il peut monter jusqu’à une centaine de lits, et davantage si besoin est, mais évidemment avec des conséquences sur le reste des capacités hospitalières. Le Valais en annonce 40, Neuchâtel aussi, mais à condition de disposer du personnel nécessaire, et Fribourg 50 dès la semaine prochaine. Quant au Jura, il en indique «6 en temps normal», précisant qu’il est prévu d’augmenter cette capacité dans des unités spéciales.
Lire l'article lié: En cas de saturation des services de réanimation, peut-on faire des choix éthiques?
Aujourd’hui, une situation sous contrôle
Pour faire face à l’épidémie qui ne fait que commencer, tous les hôpitaux se sont réorganisés. Jusqu’à présent, ils maîtrisent la situation. «Nous avons une activité soutenue, mais nous ne sommes absolument pas débordés», déclare le directeur du CHUV Philippe Eckert dans un chat avec nos lecteurs. Même son de cloche au Groupement hospitalier de l’Ouest lémanique (GHOL) à Nyon. «Nous sommes plutôt dans la réorganisation sereine que dans la panique», commente son directeur Daniel Walch. Depuis ce mercredi, le GHOL accueille les personnes soupçonnées de porter le virus, soit une quarantaine par jour, dans un bâtiment modulaire dans le but de les séparer du flux des autres patients. Quatre des six salles d’opération ont été réaffectées de manière à permettre des intubations et ainsi augmenter la capacité en soins intensifs.
Si les hôpitaux se déclarent «prêts», le système de santé n’en reste pas moins fragile, en raison notamment de sa dépendance à la main-d’œuvre frontalière, qui oscille entre 20 et 40% de l’effectif total du personnel selon les établissements. Certains n’hésitent pas à qualifier de «catastrophe» l’hypothèse d’une fermeture des frontières. C’est dire que tous les ministres cantonaux de la santé ont suivi lundi dernier l’intervention du président français Emmanuel Macron à la télévision avec appréhension. Si son langage truffé de métaphores guerrières a laissé craindre le pire, ce scénario ne se produira pas dans l’immédiat. «A Berne comme en France voisine, j’ai reçu des signaux positifs et rassurants», note le ministre jurassien de l’Economie et de la Santé Jacques Gerber.
Notre suivi du mercredi 18 mars: [En continu] Les élections municipales tessinoises auront lieu en 2021
Craintes sur les travailleurs frontaliers
A ce sujet, le Conseil fédéral a multiplié ces derniers jours les entretiens téléphoniques avec les pays voisins et de l’UE. Sur le papier, la situation semble clarifiée. L’accord de libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE régit l’accès du personnel transfrontalier pour travailler dans les hôpitaux suisses. De plus, un accord bilatéral sur l’échange d’information en matière de pandémie de grippe ou de risques sanitaires entre la Suisse et la France a été conclu en 2010, réglant la coopération sanitaire transfrontalière. Reste à savoir s’il sera observé au cas où la crise actuelle devait encore s’amplifier. «Aucune réquisition de personnel n’a été ordonnée à ce stade», répond-on au Département fédéral de l’intérieur d’Alain Berset.
L’autre défi des hôpitaux consistera à remplacer le personnel médical affecté par le coronavirus. En Italie, le taux d’absentéisme a vite oscillé entre 15 et 20%. Là aussi, les nouvelles sont plutôt positives. Partout, on a rappelé de jeunes médecins à la retraite, mobilisé les étudiants en fin de cycle et invité les gens à temps partiel à élever ce taux.
«Probable que nous soyons débordés»
Alors, la Suisse est-elle bien préparée à relever le défi du coronavirus? La réponse est forcément nuancée, à l’instar de celle de Thierry Fumeaux, le président de la Société suisse de médecine intensive. «Il est possible, voire probable, que nous soyons débordés. Mais nous mobilisons toutes nos forces et notre population a désormais compris qu’elle devait faire preuve de discipline, de solidarité et de résilience», note-t-il. Quant au ministre jurassien Jacques Gerber, il ne veut pas anticiper. «Nous avons de bonnes structures sanitaires et la collaboration entre les divers acteurs fonctionne bien. Mais à l’issue de la crise, nous devrons nous remettre en cause à propos de notre dépendance envers l’étranger et nous demander si nous ne ferions pas mieux de conserver une plus forte production de matériel sanitaire en Suisse.»
Retrouvez tous nos articles sur la pandémie.