Ignazio Cassis, l’homme aux deux visages
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Qui est Ignazio Cassis, au-delà du représentant d’un lobby de quatre caisses maladie? Emancipé de la tutelle de Fulvio Pelli, il se révèle un homme capable de sceller des compromis

Portrait paru avant l'élection d'Ignazio Cassis au Conseil fédéral le 20 septembre 2017, aux côtés de ceux des deux autres candidats, Pierre Maudet et Isabelle Moret.
Est-ce un signe? Ignazio Cassis est Bélier. Or, les natifs d’avril sont parmi ceux qui, dans l’histoire récente, ont le plus souvent accédé au Conseil fédéral. Alain Berset, Didier Burkhalter, Doris Leuthard, Pascal Couchepin, Jean-Pascal Delamuraz sont tous nés durant ce mois printanier.
Ignazio Cassis est venu au monde le 13 avril 1961, soit, à quatre jours près, tout juste un an après Didier Burkhalter. Sa jeunesse a été marquée, à l’âge de 13 ans, par un accident qui l’a privé de l’auriculaire droit et l’a contraint à remplacer le piano par la trompette. Comme il l’a raconté au Matin Dimanche, cet événement a attisé sa curiosité pour le fonctionnement du corps humain, au point d’en faire sa profession. Il lui a aussi donné une sensibilité sociale pour la protection des plus faibles.
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De la commune au Conseil national
Sur le plan politique, il est passé directement de la commune au Conseil national, sans transiter par l’habituelle étape du Grand Conseil. Cela s’explique par le fait qu’il a été médecin cantonal de 1996 à 2008. En juin 2007, ce parfait trilingue a remplacé à Berne Laura Sadis, élue au gouvernement tessinois. Sa carrière professionnelle l’a suivi dans la ville fédérale.
En 2008, il est devenu vice-président de la Fédération des médecins suisses (FMH), fonction qu’il a abandonnée à la suite d’une divergence de vues sur le managed care. En 2012, il a changé de camp. Quatre caisses maladie, Helsana, CSS, Sanitas et CPT, ont quitté Santésuisse et créé Curafutura. Elles avaient besoin d’un président et ont fait appel à Ignazio Cassis, ce qui n’a pas manqué de surprendre le monde de la santé.
Un président impartial?
Comme ce mandat, rémunéré à hauteur de 180 000 francs, est source de polémique, il l’a mis entre parenthèses durant la présente campagne. Ignazio Cassis a répondu dans la NZZ am Sonntag: «On sait de moi ce que je gagne. Ce n’est pas le cas de tout le monde.» Est-il pour autant inféodé aux caisses maladie, comme le lui reprochent régulièrement des voix de gauche? Ce qui dérange, c’est qu’Ignazio Cassis préside simultanément, en principe jusqu’en novembre, la commission de sécurité sociale et de santé publique. Se comporte-t-il comme un président impartial? C’est la question déterminante. Les membres de la commission peinent à citer une situation où il n’aurait pas été neutre. Néanmoins, le combat déterminé qu’il mène contre le compromis trouvé par le centre et la gauche pour la réforme des retraites est jugé par certains peu compatible avec sa fonction de président.
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A son arrivée au parlement fédéral, Ignazio Cassis se situait plutôt à l’aile gauche du PLR. Sur l’échelle gauche-droite de – 10 à +10 établie chaque année par le sociogéographe Michael Hermann pour la NZZ et Le Temps, il était évalué à +1,7. Arrivée six mois après lui, Isabelle Moret était à +2,1 en 2007. Ils ont évolué de manière exactement inverse: Isabelle Moret a glissé sur la gauche et se positionnait en 2016 à +1,8, alors qu’Ignazio Cassis, nommé chef du groupe parlementaire en décembre 2015, était évalué à +2,1, soit au milieu de la cohorte PLR. Ignazio Cassis explique cette évolution par le fait d’avoir «mûri». D’autres parlementaires disent que c’est surtout la présidence du groupe qui l’a fait glisser à droite. Lecteur de Milton Friedman, il ne cache pas avoir été sensibilisé au discours libéral, sur le plan économique comme sur le plan social – il milite depuis des décennies pour la libéralisation du cannabis.
L’ombre de Fulvio Pelli
Il faut ajouter un élément d’émancipation. Jusqu’en 2011, il était dans l’ombre du président du parti, Fulvio Pelli. Le départ de ce dernier lui a ouvert un nouveau champ d’action. Il ne s’est pas privé de l’occuper. Cela a rendu les deux visages d’Ignazio Cassis plus visibles.
D’un côté, un homme affable, souriant, courtois, disponible, apte au compromis, capable de pactiser avec l’UDC (réforme des retraites) comme avec la gauche (mise en œuvre de l’initiative sur l’immigration). De l’autre, une poigne de fer. Depuis qu’il préside le groupe parlementaire, il recourt volontiers à l’article des statuts qui permet de déclarer un objet «stratégique» pour le parti. Lorsque c’est le cas, ceux qui sont d’un avis divergent n’ont qu’à se taire ou tout au plus ont-ils le droit de s’abstenir.
C’est aussi un homme ferme qui a pris la parole le 9 décembre 2015 lorsque Guy Parmelin a été élu comme deuxième conseiller fédéral UDC. S’adressant en allemand à ce parti majoritairement germanophone, il lui a rappelé les obligations qu’impliquait la participation au gouvernement: «concordance, responsabilité, résolution commune des problèmes plutôt que leur exploitation à l’avantage exclusif du parti».
Prudent dans ses déclarations depuis qu’il est candidat, Ignazio Cassis a toujours fait valoir son italianité. Sa première candidature au Conseil fédéral, en 2010, avait précisément pour but d’éclairer l’absence du Tessin depuis 1999. Sept ans plus tard, il espère être récompensé. Il amène dans le débat les questions de l’immigration, de la pression salariale et de l’afflux de frontaliers, qui expliquent l’attitude très réservée du Tessin sur les questions d’ouverture.